Sur le scientisme et ses implications sociales

0
1012

Il existe un scientisme méthodologique et un scientisme idéologique

Par Camille Loty Malebranche


Le premier se réfère à l’inconnaissabilité du monde en dehors des voies et moyens de la science et ainsi, rejette tout autre mode de connaissance sans nécessairement proclamer l’inexistence de tout ce qui n’est pas pris en compte par la science. Il s’agit dans ce cas, de nier l’accès à toutes dimensions de l’univers non tangibles en dehors de la science objective et de sa méthode rationnelle, sans nier pour autant la possibilité de ces dimensions. C’est donc une posture intellectuelle dubitative face aux autres moyens de connaître ou de constituer un savoir et non une négation catégorique de l’objet de ces savoirs. C’est précisément la mise à la question de l’objectivation même de ces dimensions vu leur intangibilité, leur non objectivité. C’est un scientisme gnoséologique.


Le second, quant à lui, est l’espace du dogme et de l’acte de foi en une soi disant science mais en fait, en l’expertise de scientifiques déifiés par l’institution sociale, censés représenter la science elle-même. Ce scientisme se distingue du premier par son attitude absolutiste et radicale qui rejette pour inexistant tout ce à quoi la « méthode scientifique » propre à ces experts soutenant cette vision, ne désigne ou ne « prouve » comme vrai. C’est un scientisme doublement idéologique non seulement par ses prétentions ontologiques réductrices mais aussi par ses affiliations à des courants sociaux, économiques et politiques, usant de ces experts, ces initiés consacrés et sacrés, pour mystifier les « profanes » et manipuler les consciences, un peu comme une sorte d’avatar du fidéisme religieux. Dans cet ordre d’idées, il suffit qu’un quelconque individu consacré expert, donc scientifique « sachant tout » de la Libye, vienne pontifier dans les médias, arguant que l’immonde agression occidentale, est un modèle d’intervention humanitaire en vue de la protection du peuple libyen voire de la démocratisation du pays, pour qu’une vaste partie de ladite presse, comme une cohue veule et suiviste, aux journalistes couardement abdiquant face à leur devoir critique, acquiesce comme par déni de décence son mot sacré, entraînant ainsi dans l’idolâtrie désinformante, tout un secteur de l’opinion publique.

Un journaliste lambda, journaleux employé, âpre au salaire et lecteur de nouvelles n’osera jamais questionner un géant expert, par peur d’être amateur! Ainsi, l’on a vu ce déni journalistique quant à l’exigence d’interroger les dessous de cette pure et sordide ignominie hégémonique selon la rapine géostratégique séculaire des vieux empires colonialistes occidentaux! De même, en pays paupérisé du sud, il suffit que des « experts » généralement formés au nord, viennent avec des mots laudatifs sur la privatisation des entreprises d’État pour que soit désarçonné tout un pan de la société civile préalablement opposée à ce néolibéralisme économique par peur de paraître profane et non initiée aux arcanes des sciences économiques ! Un bel exemple du complexe d’infériorité intellectuelle ethno-civilisationnelle et de l’asservissement mental, épistémique, économique, politique et social qui s’ensuit.


Alors que le scientisme méthodologique – quoique haïssable – reste un exclusivisme strictement gnoséologique prôné par une catégorie de la communauté scientifique, le scientisme idéologique, ontologique dans ses démarches, constitue une superstition de la pseudo-science exclusive qui ostracise du schème de l’Être tout ce qui ne se peut poser en objet par la science tel que l’entendent ses tenants. Voilà pourquoi, la connaissance devant être un fonds commun de l’humanité, il faille la libérer des ornières de l’expertise, une fois qu’elle est établie. La connaissance – si restreinte vu notre ignorance de la plupart des vérités et dimensions de l’univers et du monde, cette petite part de l’univers où vit et agit l’homme – doit vraiment débarrasser le monde du scientisme tant méthodologique qu’idéologique, afin que sans se confondre, sans s’enchevêtrer, la science et l’intuition, la foi et la révélation, chacune dans son champ, puisse se déployer dans un véritable holisme cognitif sans basculer dans les déblatérations sacrales ou messes mystifiantes, généralement pseudo scientifiques d’une certaine caste voulant davantage le pouvoir que le partage des connaissances. En dehors des sciences pures et de leurs lois démontrables et démontrées les experts pontifes « endoctrineurs » dictateurs du savoir, qui, dans les faits humains (sociaux, économiques et politiques), assez couramment atypiques, osent au nom de la science, parler dogmatiquement, ex cathedra, induisant souvent en erreur par leur refus fanfaron de leur propre limite qui n’est en fait qu’une part des limites humaines, sont à rejeter.


Les tenants du pouvoir de la société ayant toujours inventé un sociocentrisme de droit divin posant le type de société en vogue comme déité au-dessus de tout, selon un code de justification de leurs pires méfaits, c’est aux majorités de se donner les moyens de s’informer valablement. Car être désinformé ou uniquement informé par des journaux constituant la grande presse de l’institution sociale qui fait tout pour maintenir la société injuste dont elle profite, c’est se faire réduire au stade de jouet des tyrans souriants de la ploutocratie qui se dit démocratique sans souci des majorités.

Dans un monde où l’économie – ce paramètre majeur de la condition existentielle de l’homme en société, est à dessein produite en arcane inatteignable par les totems officiels de la finance, lesquels confondent sous prétexte de science, les choix de l’économie appliquée par l’État, qui sont strictement politiques et idéologiques, avec l’administration de l’économie qui relève de la science et du savoir-faire – il est essentiel que les peuples soient imbus des décisions constituant les causes de leur condition sans se faire berner par des affairistes spécialistes mystificateurs. Affairistes parasites au service des grands prédateurs de l’économie des nations. De fait, prédateurs et parasites ne diffèrent jamais que par l’échelle mais relèvent de la même visée macabre, la même stratégie vorace de dévoration de leurs victimes. 


Dans un monde passant de la barbarie primitive de l’homme sylvestre, telle l’anthropophagie, à la barbarie de civilisation que sont les méfaits de l’économisme et de l’impérialisme ; un monde où l’État de droit – loin s’en faut, n’ayant guère éliminé l’écrasement des faibles et l’exploitation plurale des majorités par la justice sociale – favorise les pires injustices à côté de l’égalité juridico-légale formelle des individus non effectivement citoyens par l’exclusion sociale et le règne d’une société de privilèges, la construction d’une opinion juste des faits concernant tous, ne doit point être abandonnée aux seuls experts orchestrant l’exclusion des vrais débats qui rendraient accessibles sans manipulation toutes les données et tous les enjeux à la société globale.

CAMILLE LOTY MALEBRANCHE

Lire l’article original sur le blog Intellection

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.