Police en deuil, institutions dans l’impasse !

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Par Sergo Alexis et Elodie Gerdy (1)

Lundi 6 février 2023 ((rezonodwes.com))–

Tristesse, révolte et indignation ! Le mardi 31 janvier 2023, à l’amphithéâtre de l’École nationale de police, ont été chantées les funérailles des trois policiers abattus, le 20 janvier 2023 à Métivier, par des bandits opérant à Pétion-Ville. Alors que les funérailles des six policiers assassinés par des bandits à Liancourt dans le département de l’Artibonite sont toujours en attente !

Durant les célébrations, des observateurs ont constaté la douleur encore très vive sur le visage des policiers, des familles et proches des policiers victimes. Certains d’entre eux ont quitté la cérémonie au moment où leur commandant en chef s’apprêtait à prendre la parole. Ce geste ostentatoire connote, à n’en pas douter, une désapprobation de la politique pratiquée par la direction de la PNH. Selon toute vraisemblance, ils doivent contester une réalité à l’intérieur du système policier qui n’est pas connue du grand public. En tout cas, cette réaction des agents n’a pas échappé aux journalistes qui couvraient l’évènement !

Ces dernières années, tant d’Haïtiens ont été tués que beaucoup finissent par considérer la mort comme une banalité quotidienne. Elle n’est plus considérée comme un phénomène sacré en Haïti. Les bandits et ceux qui les arment nous contraignent à changer notre rapport symbolique avec le décès à force de découvrir des cadavres jonchant les rues du pays aujourd’hui. Ce n’est pas que les Haïtiens soient devenus insensibles, personne ne l’est, à moins d’être un psychopathe patenté. Mais, tout se passe comme si, par la force des choses et par instinct d’autoprotection, notre psychisme s’adaptait aux morts qui gisent parfois à côté des fatras éparpillés dans les rues de Port-au-Prince et d’ailleurs.

Malgré cette nouvelle accoutumance, la peur d’être assassiné ou kidnappé dérègle notre cerveau au point de penser constamment que l’on pourrait être la prochaine victime de ces salauds. Même au temps de la dictature, la frayeur n’était pas aussi intense car la possibilité de s’adonner à des activités « apolitiques » et aux loisirs était réelle, malgré les règles politiques du système dictatorial et les « exceptions jugées subversives » qui nous donnaient le frisson. La corruption et la violence sont aujourd’hui généralisées ; les bandits finissent par monopoliser la violence légitime de l’État à visage découvert !

Le sang des Haïtiens doit arrêter de couler ! Quand on considère le nombre impressionnant de personnes assassinées ces dernières années, on est en droit de se demander si les chefs de gangs qui prennent la vie de ces citoyens ont une âme. Même ceux qui sont chargés de nous protéger sont eux-mêmes éliminés de sang-froid.

Pourquoi ?

Qui a intérêt à laisser les bandits détruire Haïti ? Les gangs, eux-mêmes, certes ; car tuer et kidnapper garantissent leur gagne-pain et leur rapport au sens du pouvoir auquel ils ont pris goût. Mais les bandits ne sont pas l’État. L’État est l’instance placée au-dessus de tout et qui a la charge de gérer le pays, et d’en assurer la sécurité. Pourquoi n’arrive-t-il pas à stopper le massacre des citoyens et n’a pour toute réponse que de solliciter l’intervention des Nations Unies ? Or l’ONU, représentée aujourd’hui par le BINUH et le Core Group, n’a point quitté « le sol de Dessalines » depuis dix-neuf ans. Avec le coup d’État de 2004 et le détournement des élections de 2011, ils sont responsables et complices du dysfonctionnement de l’Exécutif dans la mesure où, de surcroît, ils ferment les yeux sur la corruption et la violence de gestion de l’économique des bandits légaux au pouvoir.

Paradoxalement, la MINUSTAH, qui était le « bras armé » de la communauté internationale, est repartie, laissant en plan la problématique de l’insécurité et le dysfonctionnement des trois pouvoirs de l’Etat. L’apologie de Mme Helen La Lime de la fédération du G9, laissait à désirer. Elle prétendait que des bandits pouvaient ramener la sécurité au pays. Aurait-elle reconnu son erreur puisqu’elle a déclaré, avant de partir pour d’autres cieux, qu’il fallait combattre les gangs et à cette fin, une autre intervention militaire ? Même s’il n’y a pas de complot, ce monumental gâchis de la communauté internationale et de nos dirigeants ouvrent le champ libre aux complotistes de tous bords.

La facilité avec laquelle les policiers ont été éliminés et l’impunité dont jouissent les tueurs, ont conduit à un redoublement d’ardeur du côté des kidnappeurs. Et personne ni sur le plan local ni au niveau international pour nous venir en aide. Les promesses des étrangers sont émises du bout des lèvres. Les Haïtiens, eux, sont divisés sur la question d’intervention sans réelle alternative. Les patriotes réalistes sont pour une assistance technique étrangère (69 % selon un sondage) et les nationalistes puristes et rêveurs y sont opposés. Qui gagne dans tout cette valse interrompue d’indécisions ? Les Blancs, qui n’ont envie de mourir pour nous et de surcroît, ces interventions leur coûtent cher. Les exportateurs d’armes au noir qui perdront un marché assuré. Et bien entendu, les bandits qui continueront à se faire du blé en abattant sans état d’âme tous ceux qu’ils trouvent sur leur chemin.

 Que faire ?

Il va sans dire que la Police a besoin de retrouver son unité. Cela signifie avant tout qu’elle doit mener des enquêtes sérieuses pour dénicher les agents doubles qui sont tapis en son sein et qui la rongent comme un cancer. Ces judas doivent être à tout prix chassés ! Mais tant qu’on ne résoudra pas ce grave problème d’infiltration, ce corps ne pourra pas effectuer correctement son travail sécuritaire.

Il faudrait aussi une réforme en profondeur de l’institution policière. Car un policier sous-payé, non-encadré socialement, sous-entraîné, est une proie facile pour les chefs de gangs. Mais il y a l’urgence de se débarrasser de la violence des gangs pour espérer retrouver l’ordre constitutionnel. C’est-à-dire les élections générales !

Nous connaissons les chefs de gangs et leurs principaux lieutenants de même que les endroits où ils ont leur domicile. S’ils ne veulent pas d’assistance étrangère, que les dirigeants, les membres de l’opposition et les nationalistes nous disent comment mobiliser les 16 mille policiers haïtiens pour un ratissage éclair des bandits tout en réduisant le taux des victimes collatéraux ! Qu’ils indiquent quels moyens matériels qu’il leur faut, la participation militaire des pays de la région qu’ils auraient souhaitée pour mener à bien un tel projet !

Si l’on ne fait rien pour arrêter cette descente aux enfers de la société haïtienne et de ses institutions, ce « singulier petit pays » sera le premier État où l’anarchie est pratiquée comme méthode de gouvernance. Nous n’y sommes pas encore car les bandits armés illégaux ne se sont pas encore ouvertement installés avec leurs armes dans les bureaux de l’administration publique !

  1. Éditorial publié dans l’hebdomadaire Haïti en Marche de cette semaine.

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