L’Haïtien et son espace de vie

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Habiter son espace de vie

par Abner Septembre

Dimanche 15 janvier 2023 ((rezonodwes.com))–

La notion d’espace de vie fait référence, d’une part, au lieu immédiat d’habitation d’une personne vivant seule ou en famille. C’est « l’espace concret du quotidien » (di Méo, 1991). Elle renvoie, d’autre part, au lieu d’interaction avec son environnement extérieur, dans lequel se développe la plupart de ses activités. C’est  l’espace  où  l’individu  noue  des  relations  diverses  et  multiples  avec  les  autres,  avec  la  flore  et  la faune, avec les infrastructures, les services existants1  et  « tous les autres lieux avec lesquels [il]  est  en rapport2  »  ;  le  tout  qui  influe  sur  son  style  de  vie,  son  goût,  son  caractère,  sa  vision  du  monde  et  sa perception, etc.   C’est tout un conditionnement qui génère une étincelle d’identité et qui fait de l’être humain le produit de son milieu, de son histoire, de ses fréquentations et de ses expériences.

1.   L’Haïtien et son espace de vie

La relation de l’Haïtien avec son espace de vie est en général source de tensions et de conflits. Elle est aussi  faite  d’attachements  synonymes  de  liens  forts  avec  son  espace.   Cela  traduit  une  ambivalence découlant d’un passé qui lui laisse le goût de l’amertume par la souffrance qu’il a endurée dans sa chair, mais aussi le sentiment d’appartenance et de possession que la conquête de sa liberté lui inspire.

1.1.      Une relation soumise aux tensions

Dans  ce  premier  cas,  ses  actions  et  comportements  sont  émaillés  de  frustrations  qui  alimentent  une sorte de violence.  Ils sont donc marqués par l’instinct de destruction pour faire disparaître les traces de tout ce qui rappelle ce passé dramatique ou par l’instinct de châtiment consistant à infliger le dégoût et à rendre pénible la vie de ses bureaux dans une tentative de nivellement par le bas.  Ainsi, tous ceux qui vivent  dans  l’espace  commun  subissent  quasiment  le  même  sort,  sont  exposés  aux  mêmes  risques  et fléaux qui flambent le quotidien.   À la base de cette violence se conjuguent les manques ou les grandes privations, les inégalités aiguës, les injustices, l’impunité, la discrimination, la marginalisation et l’exclusion d’une grande majorité par une minorité mafieuse sans vision, sans état d’âme et insouciante.

1.2.      Des liens forts

Dans  le  second  cas  d’attachements  à  l’espace,  il  faut  comprendre  que  la  conquête  de  la  liberté transforme l’Haïtien en maître de son espace, avec lequel il noue un nouveau rapport. C’est pourquoi, au  moment où le droit du travail de la terre pour soi a été modifié avec l’instauration du caporalisme agraire, en vue de répondre aux besoins économiques de la conjoncture, les nouveaux libres ont fui les plaines  pour  se  réfugier  dans  les  montagnes  et  pour  jouir  de  leur  liberté  chèrement  acquise.    Cet attachement  à  l’espace  de vie  peut  être  de  divers  ordres :  symbolique, prestigieux,  spirituel,  mystique, mythique et matérialiste ou utilitaire. C’est un tout qui crée un sentiment que rien ne peut remplacer et qui rend nostalgique, quand on est contraint de vivre ailleurs : « Lakay se lakay ».

2.   Le devoir de l’habitant

Habiter son espace de vie fait partie avant tout d’une dynamique socio-économique que le zoning ou le plan d’aménagement territorial permet de valoriser intelligemment pour s’offrir le plus grand bien-être. C’est  une  œuvre  d’appropriation  par  une  connaissance  approfondie  de  ses  différents  éléments,  ses atouts et faiblesses. C’est un patrimoine à protéger, voire certains aspects identitaires à sanctuariser non seulement  pour  garantir  la  survie  et  la  reproduction,  mais  aussi  pour  faire  la  différence  et  enrichir  la diversité  contre  toute  volonté  d’uniformisation  en  un  monde  unipolaire  et  monolithique  qui  est  la négation  même  de  la  nature.  C’est  tisser  des  liens  forts  d’interdépendance,  nouer  des  rapports  de proximité, d’échange et de solidarité qui apporte la sécurité et aide à maintenir l’équilibre.

3.   Vivre dans un espace et habiter son espace de vie

Qui vit seulement dans un espace, mais ne l’habite pas, est quelqu’un en transit.   Il y investit son esprit ou  sa  raison  et  non  son  âme.   Il  cultive  un  rapport  de  distanciation,  en  s’interdisant  tout  engagement social  et  en  étant  prêt  à  s’en  éloigner  à  chaque  bourrasque.  Ce  choix  n’est  pas délibéré.   Il  peut  être fonction d’une logique qui juxtapose plusieurs éléments comme l’origine, une mentalité de prédation, de spéculation et de gain rapide, la peur qui pousse à une prudence excessive, etc.   Il peut aussi dépendre d’un  sentiment  d’impuissance  et  de  perte  de  certains  droits  et  libertés,  engendrant  frustrations  et désespérance qui font préférer la fuite massive vers l’extérieur, contrairement par le passé à la fuite vers l’intérieur.  Par contre, habiter son espace de vie, c’est le porter dans son âme, en voulant qu’il soit plus beau, plus propre, plus vert, plus prospère et plus sûr ; qu’il soit un motif de fierté intarissable et le lieu où l’on se sent vraiment bien. C’est donc devenir un acteur de sa transformation positive, un leader ou un collaborateur actif qui contribue par la pensée ou des idées, la surveillance, l’investissement et l’action concrète à son évolution, à sa protection et à son amélioration.

4.   Un appel citoyen

Cultivons la notion « habiter son espace de vie », en vue de construire autrement la nouvelle Haïti et d’en faire un paradis pour soi et les autres. Chacun peut apporter sa pierre.   C’est un autre paradigme sociétal qui renvoie tant à la responsabilité citoyenne qu’à un dépassement de soi pour tendre la main, loin  de  tout  esprit  de  charité,  de  condescendance  ou  d’arrogance,  à  tous  ceux  qui  veulent  se  mettre debout et grimper la montagne.  

Autrement dit, si vous n’allez pas à la montagne, c’est elle qui viendra un jour à vous. Soyons intelligents et du bon côté de la frontière.

Abner Septembre

Sociologue, Entrepreneur et Chercheur

En Sociogronomie au Centre Banyen Jardin Labo

@ Vallue, 15 janvier 2023

1 Contrairement à Frémont qui dit qu’il faut éventuellement isoler « des secteurs liés plus spécifiquement au travail, au loisir… » (Frémont, 1976)

2   Daniel  Courgeau, Méthodes  de  mesure  de  la  mobilité  spatiale :  migrations  internes,  mobilité  temporaire, navettes, Paris, INED, 1988

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