« Haïti, pays où s’installe l’injustice, surtout criminelle », relate l’édito de Haïti-Observateur

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En Haiti, l’absence de justice dans tous les domaines de la vie autorise à dire que les successeurs des Duvalier de 1986 à nos jours, les ont imités religieusement, allant encore plus loin, dans leurs comportements surtout criminels.

Si les dirigeants actuels font semblant de trouver que tout va bien dans le pays, ils ne nous entraîneront pas, après eux, sur le terrain du déni de la réalité nationale, à tous les points de vue.

CARDH: « 1 192 décès dus à l’insécurité criminelle ont déjà été recensés, de janvier à novembre 2022 en Haïti« 

New York, jeudi 15 décembre 2022 ((rezonodwes.com))–

On ne cesse de répéter que le système judiciaire haïtien est profondément corrompu. Mais on semble ignorer le fait que, pire encore, en Haïti, s’est installée l’injustice. La société n’exprime pas suffisamment son sens de révolte et de grande préoccupation, quant au nombre de victimes d’injustice dont les familles attendent que justice leur soit rendue. Une situation vraiment lamentable et qui devrait interpeller, collectivement, la nation, surtout en raison du nombre d’assassinats perpétrés par des criminels endurcis, ces dernières an-nées, et dont les auteurs et commanditaires courent encore.

Après la chute de la dictature des Duvalier, le 7 février 1986, à qui est décerné le titre de régimes (François et Jean-Claude) les plus criminels de l’histoire récente du pays, les citoyens, à la faveur de l’élaboration de la Constitution de 1987, croyaient rejeter définitivement ce qu’on pourrait qualifier de « système d’assassinats officiels » ayant fauché tant de vies, des femmes comme des hommes, des adultes de tous âges, des adolescents, et même des enfants. Bien qu’aucune statistique fiable n’ait été évoquée pour en établir le nombre, tout le monde serait d’accord que, entre les « disparitions » délibérément orchestrées, par ces deux régimes, et les personnes arrêtées, qui ne sont pas retournées à leurs familles ayant, pour la plupart, abouti à « Fort Dimanche », la version duvaliériste de la chambre crématoire des Nazis, le nombre de victimes se compte par milliers.

Comme pour rivaliser avec la dictature trentenaire, qu’il a succédé au Palais national, le prêtre Jean-Bertrand Aristide s’est signalé par les assassinats politiques qu’il a ordonnés. Un bilan partiel de ces crimes, fait par l’ex-sénateur Irvelt Chéry, a énuméré des centaines de victimes. Soit une liste dressée sur une durée de moins de huit ans, les deux mandats du prêtre défroqué ayant été écourtés. Le premier par le coup d’État du 29 septembre 1991, mené par le trio militaire Raoul Cédras-Philippe Biamby-Michel François; et le second, suite à sa démission, le 29 février, 2004, imposée par des anciens militaires arrivés de la frontière haïtiano-dominicaine, qui marchaient sur la capitale, Port-au-Prince.

Contrairement aux Duvalier, qui faisaient « kidnapper » ou « exécuter », leurs victimes, le plus souvent, au milieu de la nuit, les assassins à la solde d’Aristide perpétraient leurs crimes, en plein jour. Parmi ces dernières, figurent des hommes politiques, des avocats, des militaires et autres citoyens, des opposants réels ou imaginaires de l’ex-prêtre. À signaler des personnes très en vue de la société, comme, par exemple, le journaliste Jean Léopold Dominique et son chauffeur Jean-Claude Louissaint, l’avocate Mireille Durocher-Bertin, le général Henri Max Mayard, les deux frères Arbouet (des tueurs à gages qu’Aristide voulait réduire éternellement au silence), Dr Bordes, les pasteurs Sylvio Claude et Emmanuel Leroy, ou encore Jean Florival, pour ne citer que ceux-là.

Bien que la Mission des Nations Unies, présente en Haïti, ainsi que des militaires américains, également sur place, fussent au courant de certains de ces assassinats, rien n’a été fait pour épargner une mort certaine aux victimes. Bien que le commandant militaire américain eut dénoncé le rôle de Mondésir Beaubrun, ministre de l’Intérieur d’Aristide, dans, au moins le crime perpétré contre Mme Durocher-Bertin, et les personnes à qui avaient été confiée l’exécution de ce meurtre, personne n’a été inculpé. En l’absence du mot du Droit, dans ces cas, il ne reste que le jeu des forces immanentes pour donner justice aux familles de toutes ces victimes, qui l’attendent encore avec un grand espoir.

Suite à ces années de l’après Duvalier, peuplées de crimes caractérisés par la mauvaise gouvernance, en général, et la corruption, en particulier, en sus du régime de criminalité officielle, le peuple haïtien ne sait sur quel ton exprimer encore sa déception. Il semble que les différentes crises (mal gouvernance, concussion, corruption, impunité), auxquelles s’ajoutent des crimes s’affichant sous diverses catégories (assassinats, kidnappings, vol à main armée, braquage, vol et viol), officiellement commandités, mais aussi le déni de justice, deviennent la norme dans la gestion publique. Mais c’est l’absence de justice dans tous les domaines de la vie qui autorise à dire que les successeurs des Duvalier les ont imités religieusement, allant encore plus loin, dans leurs comportements surtout criminels.

Si les dirigeants actuels font semblant de trouver que tout va bien dans le pays, ils ne nous entraîneront pas, après eux, sur le terrain du déni de la réalité nationale, à tous les points de vue.

À cet égard, le rapport du Centre d’analyse et de recherches en droits de l’homme (CARDH) tombe à point nommé. Aussi souligne-t-il que « 1 192 (mille cent-quatre-vingt-douze) décès dus à l’insécurité criminelle ont déjà été recensés, de janvier à novembre 2022 en Haïti », dont, précise le document « 70 % concernant la zone métropolitaine de Port-au-Prince ».

Se voulant précis, le CARDH souligne que la période qui a débuté en 2018 est marquée par une série de massacres, dans les zones défavorisées de la capitale haïtienne. Le rapport attire l’attention principalement sur les quartiers suivants : « La Saline, Cité Soleil, Martissant, Bel-Air, Croix-des-Bouquets, Source Matelas et bien d’autres ». Dans ce même contexte, l’organe de presse en ligne rhinews.com souligne des révélations faites récemment, par le CARDH encore, lors d’une intervention par-devant le Sous-Comité des droits fondamentaux de la personne du Comité permanent des Affaires Etran-gères et du Développement international de la Chambre des communes du Canada, par rapport à la situation des droits humains en Haïti. Dans le cadre de ce témoignage, son représentant dit «avoir comptabilisé 755 enlèvements, de janvier à septembre 2022, dont 57 étrangers ».

À l’occasion de cette même présentation, le CARDH a exposé les faits suivants : « La plupart des victimes sont torturées. Des femmes font l’objet de viols collectifs et d’autres traitements inhumains et dégradants », ajoutant que 60 % du territoire national est contrôlé par les gangs armés en deux grandes fédérations, soient « G-9 en familles et alliés », et « G-Pèp ».

De toute évidence, le rapport de cette organisation ne concerne pas les derniers événements criminels qu’ont connu le pays, notamment la zone métropolitaine de la capitale, où sont commis, quasiment chaque semaine, des tueries et kidnappings, en série, en sus des assassinats collectifs, individuels et en série, sur des innocents. Les crimes perpétrés, ces derniers jours, par les gangs armés, ont été recensés à Laboule 12, dans les hauteurs de Pétion-Ville, à Martissant, à Torcelle, Croix-des-Bouquets, Canaan, Cabaret, Source Matelas, dans les juridictions du département de l’Ouest; aussi bien à Petite Rivière de l’Artibonite.

Ajoutés aux assassinats perpétrés dans les autres départements, le bilan se chiffrerait dans les milliers. Cela traduit l’immensité de la dette juridique et légale que la société doit aux victimes, à leurs familles et parents, odieusement privés de leurs bien-aimés, qui ne doit pas rester éternellement impayée, ni prendre l’allure de demandes de comptes à deux ou trois criminels, après la chute de la dynastie des Duvalier, par exemple, en la personne d’un Luc Désir, tortionnaire officiel du régime duvaliériste. Une stratégie qui permet à des milliers d’autres assassins locaux et de quartiers, moins ou peu connus, ou même de réputation limitée, à courir encore.

Tout cela dit, dans le processus de rétablissement de la vraie démocratie requérant la remise à l’heure des pendules, en Haïti, le pays doit se donner les moyens de réconcilier la nation avec elle-même. Car, avec tous ces crimes de sang, qui ont été perpétrés dans le pays, et qui continuent d’être commis, dont les auteurs restent impunis, les parents, familles, amis et alliés des victimes ne peuvent se sentir viscéralement attaché à ce pays et à tout ce qu’il représente. Autant dire, les différentes missions militaires étrangères, qui pourraient être déployées, dans le but de rétablir la paix, l’ordre et les normes constitutionnelles, équivaudront à commettre les mêmes erreurs du passé.

Pays, où se trouve installée l’injustice, franchement criminelle, Haïti ne pourra devenir un État de droit moderne, à tous les points de vue, sans créer les conditions nécessaires, pour que les auteurs de ces crimes odieux soient rattrapés, une fois pour toutes, par leurs actes.

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