par Clerveaux Esteker
Port-au-Prince, dimanche 11 juin 2017 ((rezonodwes.com))– En fait ce ne sont pas les jeunes qui boudent la politique. C’est la politique qui boude les jeunes. Est-ce qu’il y a vraiment une véritable politique chez les partis pour aller vers les jeunes. ? Il est à noter que les partis politiques sont organisés pour cibler les hommes et les personnes âgées. Ils ne sont pas des structures adaptées aux jeunes, ni aux femmes. Et donc c’est la politique qui boude les jeunes et les femmes dans ce pays.
La dépolitisation des jeunes est un constat qui dure depuis plusieurs décennies. L’idée que les jeunes seraient éloignés de la politique et ne feraient preuve que de peu d`intérêt à son égard est assez largement répandue. Pourtant, l’on peut constater chez eux une crise du crédit accordé à nos instances représentatives et à la classe politique.
On évoque souvent le manque d’expériences des jeunes dans la direction des partis. Nous devrions aussi demander qu’est-ce que nos hommes politiques ont fait pour impliquer les jeunes dans cette dynamique ? Depuis bien longtemps, les jeunes ne font plus confiance à leurs élus et tournent le dos à la politique.Quelle en est la cause? Pourquoi les jeunes ne sont pas intéressés par la politique ? Questions récurrentes aux réponses multiples et diffuses. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce phénomène. Ils considèrent que la politique tourne trop souvent à la polémique, qu’elle ne fait pas le lien avec le quotidien des gens.
Sur le plan politique, on constate d’abord les pratiques anti-démocratiques des soi-disant leaders politiques.
il existe une réalité politique fondée sur le clivage régional. Ce clivage n’encourage pas les jeunes à s’impliquer dans un projet politique national. Par ailleurs, ces mêmes partis politiques n’assurent pas leur fonction principale, à savoir l’encadrement et la mobilisation des jeunes pour une participation politique citoyenne. Au contraire leurs activités sont sporadiques, se limitant à l’approche des échéances électorales.
Cette discontinuité et l’absence de proximité des partis politiques donnent le sentiment aux jeunes Haitiens d’être dupes n’existant que pour donner leurs voix permettant aux politiques opportunistes de faire carrière. Parfois, pour participer à des meetings et manifestations politiques et propagandistes, les jeunes reçoivent des incitations financières pour les motiver. Et quand les jeunes viennent à s’investir dans un parti, ils sont souvent écartés des postes à responsabilité et confrontés à l’absence de méritocratie et d’égalité des chances dans la gestion interne des partis. Cette marginalisation éloigne les jeunes de la sphère politique.
Le taux de chômage est très élevé et touche essentiellement les jeunes de 25 à 35 ans. Aussi, une grande partie des jeunes Haitiens sont au chômage et constituent la classe des diplômés sans emploi, obligés de se rabattre sur l’informel. Il est difficile que ceux-ci s’intéressent à la politique quand ils se rendent compte que l’accès à l’emploi (notamment dans la Fonction publique) se fait ouvertement sur des bases arbitraires et discriminatoires. Comment convaincre les jeunes de s’impliquer en politique quand ils voient que le système économique des rentiers et des banques qui ne favorisent pas l’accès à la propriété et au capital pour les jeunes entrepreneurs?
Face au verrouillage du système économique par les rentiers et certains proches du pouvoir, les jeunes Haïtiens se sentent marginalisés, résignés et fatalistes, surtout que les règles du jeu politique biaisées les privent de tout espoir de renverser le statu quo. Face à la précarité de leur situation financière, ils n’ont pas suffisamment de temps pour s’investir en politique. La priorité est donnée à la recherche des moyens de survie.
Si la politique et l’économie ont découragé les jeunes, la société a aussi sa part de responsabilité dans leur désintérêt pour la politique. L’école qui était le tremplin de la réussite sociale pour les jeunes est gangrenée par l’incivisme. Elle ne favorise plus l’apprentissage des valeurs citoyennes. Les jeunes sont découragés par le piètre exemple donné par les acteurs politiques que ce soit lors des élections ou dans la gestion des affaires publiques. Certains d’entre eux s’illustrent par la gabegie, la concussion, le népotisme, le sectarisme…
L’école, loin de sa mission (éducation et instruction des jeunes), forme maintenant des semi-analphabètes qui ignorent même leurs propres droits. Ils deviennent alors des clients potentiels du tribalisme et de l’éthnicisme, souvent expressément développés par l’homme politique pour ses intérêts électoraux. Cet analphabétisme et ignorance de ses droits et obligations civiques se rajoutent à une culture qui ne valorise pas la participation politique des jeunes car ces derniers sont considérés comme étant « sous tutelle » dans une société pyramidale.
Les jeunes se voient ainsi inculquer la culture de ne pas contredire les ainés, les femmes ne doivent pas contredire les hommes, etc. Cette culture de la soumission est extrapolée au champ politique, ce qui ne favorise pas l’émancipation politique des jeunes.
Malgré tout, les jeunes Haïtiens ne sont pas intrinsèquement apolitiques. Cependant, prenons garde que cette désaffection ne soit pas une bombe à retardement. On se rappelle des actes inciviques portés par une jeunesse que la désespérance a poussé à participer à des milices pendant les tristes événements qui ont entourés les premières années de la démocratie pluraliste.
ME CLERVEAUX.


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