De la peine de mort

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par Henri Piquion

Samedi 15 octobre 2022 ((rezonodwes.com))–

Malgré son titre le présent texte n’est pas une réflexion philosophique sur la peine de mort. Il est une réaction patriotique spontanée soumise aux nationaux et aux citoyens haïtiens en ces temps où la souveraineté nationale est une fois encore menacée d’aliénation par l’ambition ou l’ignorance de certains responsables politiques. Ce texte s’adresse à tous les Haïtiens, à ceux qui ont comme moi dit NON, comme à ceux qui n’ont pas dit NON sans dire OUI. Je ne me considère pas plus patriote qu’eux. Je sais, pour en connaître quelques uns que nous nous retrouverons demain, sans qu’il n’y ait jamais eu de séparation, sur le chantier de la reconstruction du pays, de notre pays.

Le monde entier a applaudi quand des pays comme la France ou le Canada ont adopté des législations pour abolir la peine de mort. En même temps de partout les habitants de la planète se demandent avec impatience pourquoi les États-Unis d’Amérique continuent encore à condamner à mort et à exécuter des individus, majoritairement des noirs (on dit pudiquement aujourd’hui afro-américains), tandis que les grands assassins, ceux qui massacrent publiquement les enfants dans les écoles, tandis que les policiers blancs qui exécutent les femmes noires dans leur lit, ou qui encore, ou qui encore …, sont condamnés à des peines symboliques quand ils ne sont pas graciés par des juges complices.

Qui a oublié qu’un jeune noir de 17 ans a été exécuté un dimanche au Texas. Georges W. Bush, alors gouverneur de cet état, à qui on était venu demander de gracier cet adolescent a répondu très chrétiennement: “Je vais à l’église plus tard aujourd’hui, je prierai pour lui.” Georges W. Bush deviendra président des États-Unis.

Qui a oublié que l’un des plus jeunes condamnés à mort et exécuté en ce pays de la démocratie, était un enfant de 11 ans (onze ans), plus précisément un petit noir de 11 ans, accusé sans preuve d’avoir tué une petite fille blanche d’à peu près son âge. Il fut exécuté d’une décharge électrique transmise par un casque métallique placé sur sa tête. On lui a accordé généreusement de pouvoir tenir une bible pendant l’exécution. Peu après le pays a appris, sans s’émouvoir car il s’agissait d’un petit noir, qu’il était innocent, qu’il avait été faussement accusé par un autre enfant de son âge, blanc celui-ci, pour des histoires d’enfants.

Être pour la peine de mort dans ces conditions, c’est participer avec conviction à l’assassinat légal des minorités sans statut économique ni moyens de défense. J’étais donc contre la peine de mort. Je suis donc de ceux qui ont applaudi quand elle a été abolie en France, au Canada et dans d’autres pays, et qui se demandent avec angoisse combien d’afro-américains, d’amérindiens, de Zacco et Vanzetti seront encore légalement assassinés avant que les États-Unis n’abolissent la peine de mort chez eux et dans leurs centres de torture comme la base de Guantánamo.

J’aurais peut-être continué à répéter pendant longtemps encore que je suis contre la peine de mort s’il n’y avait eu entre 1992 et 1994 des demandes insistantes adressées à des puissances étrangères de décréter un embargo contre notre pays, de répondre au coup d’état par des “frappes chirurgicales” de la USAF et d’envahir militairement le territoire national. On sait quelles suites tragiques ont suivi ces demandes.

J’aurais peut-être continué à répéter pendant longtemps encore que je suis contre la peine de mort si depuis 1994 des criminels lourdement armés circulant hier à motocyclettes, mais regroupés aujourd’hui en gangs organisés, disposant de moyens immenses et de complicités dans l’administration politique du pays, dans l’administration publique, dans la société civile et dans le monde des affaires, ne s’étaient mis à rançonner, kidnapper, violer, torturer, parcelliser les villes en petites baronnies sous leur contrôle, affronter les lois et leurs représentants, avec arrogance assurés de l’impunité; s’ils ne s’étaient pas donné le droit d’appliquer la peine de mort en condamnant et en exécutant des citoyens sans défense sans avoir de compte à rendre à la société qu’ils avaient prise en otage avec l’assistance des “élites” (sic). S’il n’y avait pas eu ces actes de haute trahison et ces “crimes contre l’humanité” j’aurais peut-être continué à dire que je suis contre la peine de mort.

Je ne le dis plus, mais je traiterai d’assassins tous mes voisins québécois, canadiens, américains ou français qui se prononceront en faveur de la peine de mort même si chez eux il y a des criminels qui mitraillent les enfants et des passants dans des écoles et sur la voie publique. Dans leurs pays la peine de mort ne pourrait être qu’une forme de vengeance institutionnelle, une vengeance d’état, alors que la société doit punir, tenter de réhabiliter et non se venger. Demain, et le plus vite possible, cela vaudra aussi pour nous en Haïti.. En attendant, et sans me contredire, je me prononce dans ce texte publiquement, sans “voyé ròch kaché men” pour le rétablissement circonstancié de la peine en Haïti. Je compte proposer en même temps des modalités de son application afin qu’elle ne devienne le prétexte à des assassinats judiciaires et politiques.

Les crimes de haute trahison commis envers le pays, et les crimes contre l’humanité commis contre les citoyens du pays ou contre ses habitants de passage ou permanents sont punissables de la peine de mort, Les crimes de haute trahison et ceux contre l’humanité sont imprescriptibles. Leurs auteurs peuvent être poursuivis même à titre posthume quel que soit le délai d’attente ou par contumace si le criminel présumé s’est enfui du territoire national.

La liste des crimes de haute trahison sera établie de la façon la plus exhaustive possible dans le texte de la Constitution qui remplacera dans les meilleurs délais, je le souhaite, celle de 1987 cause directe de l’instabilité politique et sociale permanente que connaît le pays depuis son adoption. Dans l’urgence je propose que soit désormais considérée comme un crime de haute trahison punissable donc de la peine de mort toute demande adressée ou ayant été adressée à une puissance étrangère ou à un groupe de puissances étrangères, à une organisation internationale ou à un groupe d’organisations internationales, à des mercenaires étrangers ou nationaux d’intervenir militairement, politiquement ou criminellement dans un conflit de nature politique ou constitutionnel dans le pays.

De même, la liste des crimes contre l’humanité sera établie de la façon la plus exhaustive possible dans le texte de la Constitution qui remplacera dans les meilleurs délais, je le souhaite, celle de 1987 cause directe, même partielle, de l’augmentation de la criminalité civile et de celle à caractère politique, de la prolifération des gangs armés et donc de l’instabilité politique et sociale permanente que connaît le pays depuis son adoption. Dans l’urgence je propose que soient désormais considérés comme crimes contre l’humanité punissables donc de la peine de mort tout acte de kidnapping suivi ou non d’une demande de rançon; tout viol et tout acte d’agression sexuelle sur un individu de l’un ou l’autre sexe; tout acte de torture physique ou psychologique, ayant ou non causé des lésions, exercé contre un individu par un membre de la force publique, un membre de gangs ou un responsable d’une administration publique ou privée et tout acte de privation d’accès à la justice.

Le gouvernement de Ariel Henry et son conseil des ministres ont intérêt à faire leurs ces dispositions dans l’espoir qu’on leur trouvera des circonstances atténuantes quand des comptes leur seront demandés.

Pour éviter que ces mesures, une fois adoptées, ne deviennent des prétextes à des assassinats judiciaires et politiques, et parce que la mise à mort légale de quelqu’un, de qui que ce soit et pour quelque raison que ce soit, ne devienne un automatisme je propose les modalités suivantes de leur application.

1. Toute décision de condamnation à mort est susceptible de pourvoi automatique en Cassation.

2. Au cas où la Cour de Cassation maintient la décision de condamnation à la peine de mort, aucune exécution ne peut avoir lieu tant que le Président de la République ne l’ait ordonnée par Arrêté Présidentiel pas moins d’un mois et au plus trois mois après réception de la décision de la Cour de Cassation, et que cet Arrêté n’ait paru dans le Journal Officiel de la République.

3. Toute mise à mort réalisée avant la parution de l’Arrêté Présidentiel dans Le Moniteur, sera considéré comme un acte de privation d’accès à la justice, donc comme un crime contre l’humanité et les individus qui en auront été trouvés coupables seront sanctionnés en conséquence.

Ainsi encadrée la peine de mort ne deviendra réalité qu’après avoir été obligatoirement validée par deux instances judiciaires qui transmettront leurs conclusions au Président de la République, seul responsable in fine de l’exécution de la condamnation. Il aura entre un et trois mois pour prendre connaissance du dossier et faire les consultations qu’il jugera nécessaires. Il ne décidera ni dans un sens ni dans l’autre sans être intimement convaincu de bien servir la justice et la société. Il faut comprendre qu’un tribunal est une entité abstraite qui prononce un jugement et condamne à une sentence, tandis que le Président de la République est un individu qui portera toute sa vie devant sa conscience la responsabilité de sa décision.

J’anticipe qu’on me reprochera mon irréalisme car jamais, me dira-t-on, Ariel Henry n’aura le courage de faire face aux gangs grâce à qui il est encore au pouvoir. Il aurait tort car les ministres savent que ce qui n’est aujourd’hui qu’une idée fera certainement bientôt partie de l’arsenal de lois et de dispositions constitutionnelles dont disposera la société pour demander des comptes. Ils savent aussi que l’alternative à la justice des tribunaux est celle de la rue qui porte le nom de déchoucage.

Aucun d’eux ne voudra ni déchoir ni mourir avec Ariel Henry. Ils savent d’ailleurs que le population dans sa très grande majorité condamne sans appel la demande d’occupation qu’ils ont signée avant de réfléchir. Ils vont avoir à choisir entre le convaincre de la rétracter dans une décision ayant au moins la même forme que celle du 6 octobre, ou de le déposer en vue de faire cette rétractation eux-mêmes en tant que Conseil des Ministres et sauver leur peau.

Ariel Henry et ses ministres, si ceux-ci veulent être condamnés avec lui, doivent savoir que cette idée du rétablissement de la peine de mort, qui n’est aujourd’hui qu’une idée, mais qui sera avant longtemps une loi dans la Cité, les attend au détour. Ils prétendent vouloir débarrasser le pays des gangs et veulent nous convaincre que seule une armée étrangère peut arriver à cette fin.

Je leur rappelle en terminant qu’il y a sur place une armée qui s’appelle les FAdH. Ses membres sont plus de deux fois moins nombreux que ceux de la PNH, mais ils ont la compétence technique et la motivation. Si le gouvernement veut à tout prix s’adresser à des étrangers, qu’il leur demande de fournir aux FAdH dont elles pourraient avoir besoin pour ce genre d’opération. Il y aurait certainement moins de morts dans le camp des gangs.

Monsieur le Premier Ministre Ariel Henry, vous direz NON à l’occupation que vous avez vous-même demandée dans un moment d’égarement, on vous le concédera, ou ce sera le poteau dans deux, cinq ou dix ans.

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