Haïti | Université : A quoi sert la réalisation d’un mémoire universitaire en Haïti?

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Samedi 30 avril 2022 ((rezonodwes.com))–

Dans cette réflexion nous n’avons pas vraiment de données pour faire le décompte sur le nombre de mémoires déjà réalisés dans les universités en Haïti. Mais entant qu’un ancien étudiant à la faculté des sciences humaines et de l’INAGHEI, nous allons essayer d’analyser l’importance des réflexions scientifiques estudiantines dans la société haïtienne.

Nous pouvons dire qu’un mémoire est l’aboutissement d’un cursus universitaire validant un diplôme de fin d’études de grade licence comme départ. Il est présenté sous la forme d’un document écrit de 70 à 120 pages tout en respectant des normes scientifiques modernes. Ce mémoire donne lieu également à une défense devant un jury constitué d’une batterie de professeur, où l’étudiant doit-être capable de se défendre et d’étayer ses opinions. Un mémoire peut être individuel ou en groupe, mais à la faculté des sciences humaines de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) c’est une réalisation individuelle et c’est ce qui fait encore sa beauté. C’est en fait un document d’opinions concernant un sujet donné tout en appuyant logiquement sur une série de faits pour en arriver à une recommandation ou une conclusion.

Pour certains c’est la tâche la plus difficile dans les activités académiques universitaires, mais pour d’autres c’est plutôt une concentration optimale qui est importante. Mais en réalité, en Haïti, la difficulté de réalisation d’un mémoire se base sur certains aspects que nous ne pouvons pas nier leurs existences.

D’abord, la concentration. C’est la première étape. Mais dans un pays à risques élevés comme Haïti comment peut-on être un étudiant en concentration régulière ? Il n’y a jamais un semestre calme sans les troubles politiques. L’insécurité, la nourriture, l’électricité, l’internet, voilà donc un ensemble de problèmes primordiaux à résoudre avant de parler de concentration estudiantine.

Dans des universités où la condition d’étudier est aux abois où il n’y a pas même un moyen disponible pour faire une copie de documents. Nous n’avons même pas besoin de toucher l’aspect d’hébergement, c’est inexistant. En ce sens, imaginons un étudiant venant d’une province éloignée. Il n’a pas de famille, pas d’amis dans la capitale, quelle est sa condition de vie ? Il doit avoir un endroit d’hébergement, il doit se nourrir, selon l’endroit il doit avoir les frais de transport. Personnellement, nous avons eu connaissance des jeunes filles qui se sont prostituées pour résoudre ces problèmes. 

Ensuite, un autre aspect important. Étant donné que nous ne vivons pas en Haïti, nous sommes des survivants en perpétuel combat contre la mort, nous devons donc chercher des moyens pour s’en sortir. Ce qui explique, un étudiant à l’université d’état d’Haïti, après sa deuxième année d’étude, il cherche déjà à se débrouiller. Les médias de masse, les établissements scolaires, les organisations locales et d’autres activités quotidiennes sont devenus des principaux cibles des jeunes universitaires. Donc, certains même parfois arrivent à fermer leur dossier ou même abandonner pour assurer leur survie. 

Ces deux aspects sont importants dans la non-réalisation d’un mémoire ou rendre difficile la tâche de le réaliser. En fait, suivant notre expérience, certains peuvent le contester mais c’est notre opinion, s’il y a un endroit universitaire qui donne beaucoup plus d’importance et plus stricte sur la question de mémoires en Haïti c’est la faculté des sciences humaines. Malgré les troubles qu’elle fait face ces dernières années, en ce sens, c’est la meilleure espace de réflexion académique sur le plan universitaire.

A la faculté des sciences humaines de l’université d’état d’Haïti, nous pouvons constater des centaines de mémoires alignés suivant le département d’étude. Ils ont tous traité des sujets cruciaux qu’on pourrait utiliser dans l’analyse et l’appréhension de la réalité sociopolitique haïtienne. Des sujets sur la santé mentale, la décentralisation, la réalité scolaire, les médias de masse, les élections, le loisir, la culture etc. ils sont tous des réalisations scientifiques qui cherchent à comprendre le mode de fonctionnement de la structure sociale haïtienne. Ce qui voudrait dire, si on souhaiterait vraiment construire une société à l’ère moderne, les recherches scientifiques sont les points de départs.

Il y a d’autres facultés de l’UEH et des autres universités qui traitent des sujets intéressant sur l’économie et l’administration publique comme à l’INAGHEI, FDSE et autres. En ce qui concerne le domaine sanitaire, les réflexions ne manquent pas, soit à la faculté de médecine de l’UEH et de l’Université notre dame. Sur l’agriculture, nous pouvons consulter les réflexions des étudiants de la faculté de l’agronomie ou université Quisqueya. En ce qui concerne le domaine de construction, c’est plutôt une catastrophe. Nous formons des ingénieurs dans les universités pour partir après.

Donc, nous avons tout ce qu’on veut en terme de réflexion pour comprendre et construire une société. Mais les dirigeants de la première république noire au monde ne donnent pas de valeurs à ses réalisations. Il n’y a pas même une loi en Haïti qui se penche sur ce sujet. Etant donné que nous évoluons dans une société qui ne valorisent pas le savoir et la connaissance, ces mémoires ne valent rien qu’un grade académique. Les étudiants réalisent leurs travaux justement pour boucler leurs cycles académiques, rien d’autres. Il y en a même qui ignorent cette question car ça n’en vaut la peine.

C’est pourquoi Maurice Lebel (1957) pensait que « L’université elle-même n’existe pas, c’est un concept de l’esprit. » Car en effet, l’idée d’université se fait à partir de divers concepts de l’esprit (Corbo, 1990). En outre, elle peut être formulée à partir de ses trois missions : l’enseignement supérieur, la recherche et le service à la société. Cette formation ne visait pas d’utilité sociétale bien qu’elle en comportait incidemment. Les glissements de priorités de l’enseignement vers la recherche, de l’enseignement humaniste vers l’enseignement professionnel et de la recherche fondamentale vers la recherche appliquée traduisent un glissement de l’idée d’université comme institution autonome vers l’idée d’université comme institution au service de la société, qui, à son tour par les taxes même si le budget de l’université en Haïti n’est jamais une priorité, soutient financièrement l’université afin d’assurer sa survie et son développement.

En ce sens, l’enseignement et la recherche restent des missions de l’université au profit de la communauté, qui doivent devenir des moyens privilégiés par lesquels l’université exerce sa mission première de service à la société. Toutefois, nous devons mentionner que c’est à partir du 20e siècle, quand les universités commencent à chercher un financement public important, que l’idée d’université comme un service à la société prend racine comme mission. Aujourd’hui, l’idée d’université comme une institution au service de la société doit dominer la société haïtienne. 

Donc, il est temps que les dirigeants plus consciemment assumés et que l’Université possède plus clairement conscience de former une élite sociale, responsable de conduire la société haïtienne. L’homme qu’il faut à la place qu’il faut, pas un pays dirigé par des novices venant de nulle part. Il faut toutefois que cette fonction d’interprétation joue un rôle important qui est séparable du maintien des inégalités sociales en Haïti. Il n’est pas toujours possible à l’ère moderne que l’Université aggrave ces inégalités. Parce que l’autre problème dans la question universitaire en Haïti est que les chances d’accès à l’enseignement supérieur sont tellement inégales et, que les étudiants de milieu populaire forment un groupe opprimé par le système socioéconomique haïtien.

Ainsi, l’Université doit avoir un rôle spécifique dans la société comme une institution indépendante dans laquelle un enseignement et une recherche sans contraintes « utilitaires » sont menés. Qu’elle contribue à l’autoréflexion de la société, permet une confrontation d’idées à travers les mémoires et joue un rôle culturel.

L’université en Haïti ne doit pas avoir seulement des missions de recherche et d’enseignement, elle doit remplir aussi une troisième mission qui est le « service à la société ». Et ce service doit être primé au plus haut sommet de l’Etat. L’université doit être considérée à travers les recherches des étudiants comme étant un acteur du changement tout en tenant compte du respect des valeurs qu’elle promeut. Elle doit aussi stimuler toutes les formes d’innovation, qu’elles soient technologiques ou sociales. Ce faisant, l’université rend service à la société.

En ce sens, pour mettre en valeur le travail de recherche d’un étudiant (mémoire), d’abord, l’université doit être vue comme moteur de développement et de liberté critique, qu’elle participe pleinement aux débats qui animent l’espace public. Acteur attentif aux défis contemporains, elle doit entendre de faire de sa connaissance un bien commun au service de celles et ceux qui en ont besoin pour aborder les grands enjeux de notre temps. Comme acteur solidaire de l’autre précaire, l’université de devrait jouer le rôle de la justice et accompagne ceux que l’histoire humaine a appauvri.

Entant qu’acteur d’innovation et de création, elle doit contribuer au développement culturel, social, économique et politique de la communauté haïtienne. Comme acteur d’égalité et de diversité, elle devrait participer au développement d’un monde vivable commun, construit par tous quel que soit leur appartenance sociale, de genre, religieuse et accessible à tous. Sinon, nous aurons toujours une université à l’image de cette société décadente avec des acteurs agissant comme des étrangers qui ne maitrisent le terrain.

Max R. Shoewer LUBIN

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