Qui défend les droits des migrants haïtiens au Mexique ?

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Jeudi 20 janvier 2022 ((rezonodwes.com))–

Aujourd’hui, il y a plus de 281 millions de migrants internationaux dans le monde. S’ils se rassemblaient pour former un pays, ils constitueraient le cinquième pays le plus peuplé de la planète. Pourtant, cette population demeure largement invisible. De nombreux migrants, en particulier ceux qui sont en situation irrégulière, vivent et travaillent dans l’ombre, n’osent pas se plaindre, ne bénéficient pas des droits et libertés pourtant consacrés et sont démesurément vulnérables à la discrimination et à la marginalisation[1].

 Au cours des 10 dernières années, des milliers d’Haïtiens ont fui leur pays en raison de l’instabilité politique et économique. Une situation qui s’est dégradée après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010. La République dominicaine et la Guyane française étaient leurs premières destinations. Ensuite, des pays de l’Amérique du Sud avec le Brésil en tête de liste allaient prendre une décision humanitaire en vue d’accueillir des milliers d’Haïtiens qui étaient en difficulté dans leur pays.

En 2016, le Chili était considéré comme le nouvel eldorado des migrants haïtiens  à cause de l’instabilité politique et économique au Brésil. Des hauts fonctionnaires brésiliens notamment des sénateurs et l’ancienne présidente du Brésil, Dilma Roussef, étaient accusés d’implication dans le scandale petrobras, laquelle situation a ralenti l’élan de l’économie brésilienne. Cette situation a eu des effets directs sur les conditions de vie des migrants haïtiens et c’est ainsi que le Chili, avec une croissance économique ascendante, allait devenir la nouvelle terre d’accueil des migrants haïtiens.

De 2019 à 2022, le Mexique a connu une augmentation extrême de la migration en provenance d’Haïti. Le nombre de demande d’asiles des Haïtiens est passé de 76 en 2018 à 5500 en 2019. En janvier 2020, sur les 462 demandeurs d’asile à Tapatchula, ville mexicaine, 400 étaient des Haïtiens[2].

Après la fin du mandat de Donald Trump comme président des Etats-Unis d’Amérique, une nouvelle tendance commençait à dégager du coté des migrants haïtiens. L’objectif n’est plus le Brésil, le Chili ni le Mexique, mais atteindre les Etats-Unis en passant par la frontière américano-mexicaine. C’est ainsi qu’en septembre 2021 une crise migratoire allait survenir au niveau de cette frontière et cette situation a attiré l’attention des organisations des droits de l’homme puisque des traitements discriminatoires étaient réservés aux migrants haïtiens.

Environ 13 000 migrants irréguliers, la plupart originaires d’Haïti, sont bloqués depuis septembre dans un camp improvisé sous le pont international reliant Del Rio, au Texas, à la ville mexicaine de Ciudad Acuña, dans l’État de Coahuila[3].

Les Haïtiens sont arrivés au Mexique via le Brésil et le Chili après que le ministère américain de la sécurité intérieure a annoncé, en août, l’élargissement du programme de statut de protection temporaire (TPS), une mesure que les passeurs de migrants ont dénaturée, incitant ainsi un certain nombre d’Haïtiens à entreprendre le voyage illégal vers le Mexique dans l’espoir de se rendre aux États-Unis, a déclaré mardi le ministre mexicain des affaires étrangères, Marcelo Ebrard[4].

Compte tenu des difficultés qu’ils rencontrent à la frontière nord du Mexique, certains des migrants ont décidé de se rendre à Mexico pour tenter d’obtenir les papiers nécessaires afin de pouvoir rester légalement au Mexique et ils continuent d’attendre une réponse positive des autorités mexicaines.

La région connaît une vague record de migrants qui tentent de se rendre aux États-Unis, où le service des douanes et de la protection des frontières a détecté plus de 1,7 million de sans-papiers à la frontière avec le Mexique au cours de l’exercice 2021, qui s’est terminé le 30 septembre[5].

Plusieurs dizaines de migrants haïtiens ont continué le jeudi 13 janvier 2022 à manifester pour la troisième journée en demandant aux autorités mexicaines de régulariser leur situation en matière d’immigration, une manifestation qui a donné lieu à une confrontation avec la police.

« Ici, à Mexico, nous n’avons pas de travail et nous devons soutenir nos familles, mais nous n’avons pas de documents. Nous manifestons jusqu’à ce que les autorités nous donnent des papiers », a déclaré aux médias l’un des quelque 30 migrants[6].

Les manifestants ont insisté sur l’urgence de voir les autorités s’occuper de leur situation, car nombre d’entre eux sont dans la capitale mexicaine depuis des mois et ne parviennent pas à trouver un travail qui leur permettrait de payer leur loyer ou de subvenir aux besoins fondamentaux de leur famille. Ils ont donc besoin d’une carte de résidence temporaire et de documents légaux.

Pourquoi accélérer le processus d’octroi de documents légaux aux migrants haïtiens qui sont en situation irrégulière au Mexique ?

Une approche de la migration fondée sur les droits de l’homme

Les migrants en situation irrégulière sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Les migrants en situation irrégulière sont plus susceptibles d’être victimes de discrimination, d’exclusion, d’exploitation et de mauvais traitements à toutes les étapes du processus de migration. Ils font souvent l’objet d’une détention prolongée ou de mauvais traitements et sont parfois réduits à l’esclavage, violés, voire assassinés. Ils sont plus susceptibles d’être attaqués par des xénophobes et des racistes, d’être agressés par des employeurs peu scrupuleux et des prédateurs sexuels, et peuvent facilement tomber entre les mains des passeurs et des trafiquants criminels. Rendus vulnérables par leur situation irrégulière, ces hommes, ces femmes et ces enfants ont souvent peur ou sont incapables de demander à être protégés et secourus par les autorités des pays d’origine, de transit ou de destination[7].

L’un des aspects de l’exploitation des migrants en situation irrégulière est leur position sur le marché du travail. Ces migrants ont un choix limité quant aux types d’emplois accessibles, et en viennent souvent à travailler dans des secteurs informels, voire illégaux, et à accepter des postes salissants, dangereux et dégradants[8]. Les travailleurs migrants irréguliers ou engagés dans les secteurs informels ou non réglementés de l’économie, comme le travail sexuel et les travaux domestiques, sont particulièrement vulnérables dans certains pays.

En outre, en raison de leur isolement et de leur clandestinité, ils ne peuvent pas toujours accéder aux services de base, en matière de santé, d’éducation et juridique. En fait, même lorsque les États d’accueil font des efforts pour permettre aux migrants en situation irrégulière de bénéficier des droits dont ils peuvent jouir, il reste des barrières. Les migrants irréguliers essaient souvent d’éviter d’être identifiés, par crainte d’être expulsés, et ne peuvent donc bénéficier d’une assistance efficace, ce qui les expose encore plus à l’exploitation[9].

La vulnérabilité des migrants en situation irrégulière est aggravée par leur situation de non-ressortissants. À ce titre, ils sont souvent empêchés de bénéficier des mesures élémentaires de protection en matière de travail, des garanties de procédure régulière, de la sécurité et des soins de santé, en dépit des obligations des États de protéger les fondamentaux de toutes les personnes présentes sur le territoire, quel que soit leur statut[10].

Ils risquent aussi de ne pas pouvoir accéder aux services de santé et à l’éducation, et d’être mis en détention s’ils sont identifiés par les autorités. Ils subissent parfois des discriminations pour des motifs raciaux ou autres ou sont stigmatisés du fait de leur statut. La migration irrégulière et le placement des migrants au sein de la population active sont de plus en plus contrôlés par la criminalité organisée, ce qui représente un autre facteur essentiel de vulnérabilité[11].

Les droits des migrants haïtiens qui sont au Mexique doivent être respectés au regard du droit international des droits de l’homme. Pour ce faire, les autorités mexicaines devraient en toute urgence prendre toutes les dispositions nécessaires en vue d’octroyer des documents légaux aux migrants haïtiens pour éviter toute forme d’exploitations des migrants, car cette pratique est prohibée par le droit international des droits de l’homme.

La Commission mexicaine d’aide aux réfugiés est l’organisme du gouvernement mexicain chargé de traiter les demandes de reconnaissance du statut de réfugié (COMAR) devrait traiter avec diligence et de façon satisfaisante les demandes soumises par les migrants haïtiens. Le demandeur dont la demande n’est pas acceptée a le droit de contester cette décision devant l’Institut National des Migrations (INM)[12].

L’Etat haïtien qui, en novembre 2021 a ouvert un Consulat dans le Sud du Mexique pour gérer les flux migratoires dans cette région, devrait apporter son soutien aux migrants haïtiens qui se trouvent en difficulté à Tijuana et Tapatchula. D’un autre côté, le gouvernement haïtien devrait conclure un accord formel avec le gouvernement mexicain en vue d’accélérer le processus de régularisation de la situation de ces migrants, pour le bien-être de ces derniers.

Steve GUSTAVE,

Avocat au Barreau de Port-au-Prince ;

Fonctionnaire du Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes ;

Whatsapp : +50943775230

sgustave9@yahoo.fr


[1] Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies, Division de la population, Trends in International Migrant Stock  : The 2020 Revision (base de données des Nations Unies, POP/DB/MIG/Stock/Rev.2013), consultable à l’adresse : www.unmigration.org.

[2] Résumé de l’Exécutif, Une traversée d’espoir :la migration des femmes haïtiennes vers Tapatchula, au Mexique, p.9.

[3] https://www.laprensalatina.com/haitian-migrants-ask-mexican-authorities-to-regularize-their-status/.

[4] Ibidem.

[5] Ibidem.

[6] https://www.laprensalatina.com/haitian-migrants-ask-mexican-authorities-to-regularize-their-status/.

[7] Statement of the Global Migration Group on the Human Rights of Migrants in Irregular Situations, 30 septembre 2010, Genève, Suisse.

[8] Fact Sheet: Migration and Human Rights, HCDH, http://www.ohchr.org/EN/Issues/Migration/Pages/MigrationAndHumanRightsIndex.aspx. consulté le 19 janvier 2022.

[9] Statement of the Principals of the Global Migration Group on the Human Rights of Migrants in Irregular Situations, 30 septembre 2010.

[10]

[11] For a Better Life: Migrant Worker Abuse in Bahrain and the Government Reform Agenda”, Human Rights Watch, octobre 2012, p. 28.

[12] https://www.iom.int/fr/news/loim-et-linstitut-national-des-migrations-mexicain-echangent-des-informations-sur-les-meilleures-pratiques-migratoires, consulté le 20 janvier 2022.

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