Pour nous Haïtiens, avec ou sans Biden, avec ou malgré Biden : LIBERTÉ OU LA MORT

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par Henri Piquion

Mardi 19 janvier 2021 ((rezonodwes.com))–

Dans 24 heures les États-Unis vont changer de président. Spontanément je suis porté à dire que cela ne nous regarde pas. Il arrive régulièrement que les pays changent de président et ils en sont à leur 46ème. Ma génération a vu arriver et s’en aller Truman, Eisenhower et Kennedy, puis Johnson et tous ceux qui l’ont suivi jusqu’à Donald Trump.

De l’un à l’autre le pays est resté identique à lui-même, belliqueux, guerrier, interventionniste, expansionniste, hégémonique et arrogant dans sa politique étrangère; raciste, agressif, brutal et même criminel à l’endroit d’une grande partie de sa population qu’il maintient systématiquement, doctrinalement, dans la misère pour assurer aux autres de bénéficier de certains droits dits humains et à une petite minorité de jouir sans mesure des bienfaits de la richesse collective, c’est-à-dire, dans le vocabulaire de la sociologie américaine, de consommer au-delà des besoins et des nécessités.

De l’un à l’autre le pays est devenu plus inégalitaire qu’avant, et a développé des théories économiques et jusqu’à des principes moraux pour justifier l’écart grandissant entre les classes sociales telles qu’elles sont théoriquement définies selon leur définition limitative et topique. Ces théories élaborées au tournant des années 50 – 60 à une époque où la production créait de la richesse dominent encore le discours politique alors que les manufactures ont été remplacées par les banques et les compagnies d’assurances, alors que nous vivons dans une économie de finance plutôt que dans une économie de biens et que le jet privé a relégué la Chevrolet Impala ou même la Chrysler New Yorker dans des musées pour nostalgiques et archéologues.

D’un président à l’autre, et de plus en plus à mesure que le pays se transforme sans évoluer, les moyens de coercition et de contrôle de la population et des peuples sont devenus plus élaborés et fonctionnent indépendamment de toute considération éthique, morale et même déontologique, sans chercher à se justifier ce qui serait reconnaitre que leurs victimes ont une sensibilité et des droits. Or, leurs victimes individus et groupes de l’intérieur et peuples de l’extérieur n’ont point changé sauf qu’ils sont devenus plus nombreux et plus diversifiés. Ils sont aussi devenus plus évolués donc plus revendicatifs, ce qui justifie l’augmentation et la diversification des moyens de la violence coercitive. À l’intérieur les policiers disposent maintenant d’armes qui ne sont pas des armes de police; la criminologie qui voulait comprendre et expliquer, non pas absoudre a priori, s’est abâtardisée en criminalistique dont le seul objectif est d’associer rationnellement tout ce qui peut accélérer la conviction de la culpabilité.

À l’extérieur la diplomatie sert uniquement à voiler les brigandages multiformes quotidiens, et les armées romantiques des soldats courageux d’Alexandre ou de Dessalines ont été remplacées par des drones anonymes qui assassinent sans se battre, sans se mettre en danger. Notre Barack Obama a été crédité d’un nombre considérable de morts assassinés par des drones pendant qu’il élevait ses deux belles petites filles, dansait avec Michèle et jouait avec ses chiens. Il n’est donc pas tout à fait vrai que d’un président à l’autre le pays soit resté identique à lui-même. Même si de Washington à Biden, à l’exception peut-être de Donald Trump qu’il faut examiner séparément, tous les  présidents des États-Unis ont évolué dans le même corridor idéologique étroit qu’ils appellent le patriotisme.

J’aurais donc tort de dire que le passage d’un président à un autre aux États-Unis ne nous intéresse pas. D’abord parce que ce sont les États-Unis qui ont dominé le monde sans partage depuis bientôt 80 ans. Leur domination a été totale : économique, financière, militaire, industrielle, technologique et scientifique. Si on parle de culture américaine c’est au sens de quotidien, mais même en ce sens on reconnait qu’ils ont beaucoup contribué à redéfinir les paramètres qui servent au jugement des comportements des adolescents. Quand on parle de « culture » on admet qu’ils ont investi beaucoup de ressources pour en acquérir et en mettre à la disposition de leur population. Ici comme ailleurs aux États-Unis c’est la consommation le critère de la civilisation.

Ensuite parce qu’un président des États-Unis, pareil ou différent de ses prédécesseurs, va jouer un rôle important dans la vie des milliers d’Haïtiens et d’Haïtiano-Américains qui vivent aux États-Unis. S’agira-t-il de légaliser ou non les papiers de ceux (Haïtiens ou autres) qui séjournent illégalement dans le pays. S’agira-t-il de reprendre, de compléter et d’unifier les programmes de soins de santé universels. S’agira-t-il de lever les obstacles et de contrer  les abus et les magouilles qui renchérissent l’envoie d’argent et d’autres biens d’usage courant aux parents restés dans le pays. S’agira-t-il de créer des programmes pour faciliter les études à tous les niveaux des immigrants de tous les âges et de leurs enfants. S’agira-t-il de reconnaitre que des représentants de l’état dans les administrations publiques, notamment les forces de police et même des juges ont des réflexes et des conduites conscientes discriminatoires envers des catégories bien identifiées de la population, donc de faire appliquer sans état d’âme les lois et règlements existants et de les compléter par de nouvelles législations afin que les pratiques quotidiennes correspondent aux discours officiels sur l’égalité des citoyens devant la loi, la démocratie et l’état de droit que les États-Unis, d’un président à l’autre, entonnent partout dans le monde, surtout dans des pays comme Haïti.

En tant que noirs et nègres, même si certains de nos compatriotes ne se considèrent pas comme tels, les Haïtiens qui vivent à l’extérieur, aux États-Unis comme ailleurs, forment une population encore fragile dont beaucoup de membres ne maitrisent pas la totalité des codes des sociétés d’accueil, nous ne pouvons être indifférents à un événement de cette importance, quand un individu manifestement raciste, dangereusement narcissique, chef de gangs macouto-chimériques, qui ne respecte même pas les institutions et les symboles les plus sacrés de son pays, laisse la responsabilité de la présidence à un citoyen qui ne peut pas être pire que tous ceux qui l’ont précédé.

Mais il n’y a pas que cela. Le risque est nul que le président Biden traite notre pays de ‘shithole country’ ou qu’il y envoie un corps expéditionnaire de 23000 soldats de ses armées pour soutenir la dictature la plus vicieuse de notre histoire de peuple tout en parlant de démocratie.

Il est maintenant midi. Dans 24 heures Joe Biden prêtera serment comme 46ème Président des États-Unis. Dans son discours d’investiture il parlera abondamment du virus qui depuis un an relativise les fortunes et uniformise les sociétés. Il parlera de la nécessaire unité de la nation et de celle de l’occident civilisé face à l’ennemi commun au double nom, un nom abstrait le terrorisme et un nom concret le pétrole. Il parlera d’environnement et de réchauffement climatique. Il assurera tous ses auditeurs que les États-Unis vont redevenir le leader du monde libre, le défenseur du Droit et des droits. Il ne parlera pas d’Haïti, mais nous pourrons croire qu’il a pensé à nous quand il engagera son pays à combattre la misère partout dans le monde et à reconnaitre que le seul chemin qui mène à la liberté est celui de la libération. Même s’il ne le dit pas, nous le savons depuis toujours malgré nos errements, nos erreurs et nos trahisons.

Pour nous Haïtiens, ce sera toujours, avec ou sans Biden, avec ou malgré Biden : LIBERTÉ OU LA MORT.

Henri Piquion

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