Le timide réveil des magistrats face à la disparition de l’État de droit sous le silence des Barreaux

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Lundi 15 juin 2020 ((rezonodwes.com))– Inspirés du célèbre ouvrage de « L’esprit des Lois » de Montesquieu, le droit international des droits de l’homme et tous les systèmes démocratiques s’accordent que l’État de droit repose sur le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs.

C’est dire que l’Exécutif a les attributions du pouvoir réglementaire, le pouvoir législatif édicte la réglementation du fonctionnement de la société dont la violation est sanctionnée par le pouvoir judiciaire. Les trois, en toute indépendance, constituent la fondation de la démocratie. 

C’est d’ailleurs sur la base de ce principe que la Constitution haïtienne de 1987, repris par l’amendement constitutionnel du 11 avril 2011, a institué le système démocratique haïtien en ses articles 59 à 60.

En clair, pour équilibrer l’ordre social, le pouvoir exécutif adopte des actes administratifs (réglementaires ou individuels), la politique criminelle ou civile de la société, c’est-à-dire les interdits, relève du pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire assure en toute indépendance non seulement le respect de la politique criminelle ou civile mais également apprécie la conformité des actes du pouvoir réglementaire à la volonté de la souveraineté générale étant le pouvoir législatif. L’équilibre institutionnel est tellement bien conçu qu’il est établi une présomption de convergence de gouvernance publique entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif en ce que le premier dispose du droit de s’opposer à la politique législative en exprimant son droit objection à l’adoption d’une loi élaborée par le deuxième( art. 144 de la Constitution). 

Tout compte fait, l’esprit de Montesquieu sur l’excellente idée que « le pouvoir arrête le pouvoir »semble être fidèlement suivi par les constituants haïtiens et respecté par le législateur de 2011. Partant, tous les décrets adoptés par le pouvoir exécutif sont de nature administrative et peuvent être assujettis au contrôle de la justice administrative. La thèse contraire serait extrêmement difficile à prouver. 

Notons au passage que le mot législateur est impropre aux députés et sénateurs car ces derniers sont des parlementaires dont la réunion forme  le législateur à chaque élaboration d’une loi. De même que l’on ne dit pas les élections présidentielles ou les présidentielles comme on dit normalement les législatives ou les élections législatives, mais de préférence l’élection présidentielle ou la présidentielle.

Malheureusement, ces notions évoquées ne semblent pas les préoccupations des autorités publiques durant la période de l’état d’urgence, qui consiste essentiellement à adopter  des mesures d’exception sur une période bien déterminée. Cette définition est d’une grande importance qu’il est inconcevable que l’état d’urgence du 20 mars 2020 soit fondé sur la loi de 2010, qui, avec un peu de bon sens, devait s’inscrire  lui-même dans une durée limitée à la situation de crise présentée. Mais nous proposons de revenir sur cet aspect dans une prochaine réflexion. En revanche, il est important de retenir qu’il faut  l’adoption d’une loi pour chaque état d’urgence , comme a rappelé Me. Gédéon JEAN avec dextérité dans une  analyse présentée par CARDH sur la question de l’état d’urgence sanitaire haïtien du 20 mars 2021. 

Sincèrement, seul le respect de ce partage constitutionnel de pouvoir peut conduire à un fonctionnement d’une société équilibrée, dont les avocats, placés sous l’égide des Barreaux, et les magistrats réunis en associations sont des acteurs non négligeables.

I- Le silence incompréhensible des Conseils de l’Ordre des Avocats 

Où sont passées les contributions de nos Barreaux haïtiens dans le cadre du respect de l’État de droit en Haïti ? 

À quoi servent ces Barreaux s’ils n’ont même pas le courage de demander à la Cour Supérieure des comptes et du Contentieux Administratif l’annulation des décrets bidons entachés d’inconstitutionnalité? 

Le rôle de la Fédération des Barreaux d’Haiti se cantonne-t-il à organiser des conférences et séminaires? 10. Les patrons des avocats de la République pensent être utiles à la justice  en se bornant à percevoir  des cotisations et tenir des discours à l’occasion de la fête de la Saint-Yves ? 

De quelles déontologie et discipline parleront  ces Barreaux s’ils ne sont  même pas capables de forcer la main au pouvoir exécutif de respecter les principes démocratiques? Ils sont attentistes à quoi du pouvoir exécutif ? Avouez-le une fois pour toutes alors ! 

Ces interrogations concernent aussi les associations des magistrats qui se doivent de prouver être un vrai pouvoir à part entière au regard de la Constitution pour cesser d’être traités de corrompus et de cancres par le pouvoir exécutif à travers la succession des Gouvernements ( ne parlons pas seulement de la Présidence de Monsieur Jovenel MOÏSE). 


II- La colère insuffisante des magistrats 

Félicitons au passage l’Association nationale des magistrats haïtiens(ANAMAH), l’Association professionnelle des Magistrats ( APM)et le Réseau National des Magistrats haïtiens ( RENAMAH) pour accepter de s’unir pour une fois afin de protester contre les traitements des juges de paix. Mais elles peuvent faire mieux en  saisissant par un raisonnement pertinent et pointu la CSCCA en annulation de ce budget étant un acte administratif réglementaire pour avoir violé l’égalité de traitement devant le service public par rapport à l’affectation d’une enveloppe à un pouvoir qui « dit être dysfonctionnel » par l’exécutif. 

Ainsi, ces honorables magistrats et Bâtonniers rendront service à la nation de rompre avec cette vieille pratique inconstitutionnelle d’assimiler les « décrets »aux « lois » par l’appellation d’idiotie de « décret-loi », de valoriser le système judiciaire et la profession d’avocats et contribuer à un vrai État de droit en Haïti. L’exception du personnel de la chambre des députés et du Sénat ne tiendrait pas puisque l’exécutif lui-même dit « constater le dysfonctionnement ou la caducité du Parlement ».

Faites-le pour la démocratie, pour le bien du pays et ces démarches ne vous feraient pas l’ennemi du président de la République et du Premier ministre pour autant. Elles ne vous priverait pas non plus de la chance de devenir ministre ou Premier ministre à l’avenir. Peut-être un jour ce chef de l’État et ce Premier ministre vous reconnaîtraient comme de vrais hommes et ne vous qualifieraient pas des  « moins-que-rien » comme les députés de la 50e législature. 

Ce faisant, vous aideriez non seulement le pouvoir exécutif mais également le pays à se faire respecter des étrangers pour enfin arrêter de mépriser nos valeurs et nos compétences. Le porte-feuille ministériel vous serait toujours ouvert. 17. Désolé que ces propos ne fassent plaisir à personne sans avoir non plus une inimitié avec personne.

Il est urgent que les choses changent en Haïti et vous avez demandé les fonctions que vous occupez actuellement pour que les choses bougent. Alors, bougez-vous les Barreaux. Bravo aux RENAMAH, APM et ANAMAH et foncez encore beaucoup plus. Si vous ne pouvez vraiment pas, arrêtez d’être chefs car ça ne vous servirait plus à rien au final ! Autant de n’être jamais chef sans se sentir utile ! 

                       

Me. Guerby BLAISE                
Avocat et Enseignant-chercheur  en Droit pénal et Procédure pénale              
 École doctorale de Paris Nanterre                
E-mail : kronmavie@icloud.com

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