par Dr Arnousse Beaulière
Économiste, Analyste politique, Essayiste
18 août 2016
Après une période d’incertitudes, le processus électoral est repris, au moins pour la présidentielle, en Haïti. Il s’est enclenché après la formation d’un nouveau Conseil électoral provisoire (CEP), celle de la Commission indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE), la remise du rapport de cette dernière et la publication du calendrier électoral par le CEP. Le train étant en marche, les passagers-candidats devaient absolument monter à bord, au risque de le rater. Le CEP avait fixé au 22 juin minuit la date de confirmation des candidatures pour les 54 impétrants d’octobre 2015. Finalement, 27 d’entre eux ont répondu à l’appel, dont « nèg bannann nan » (l’homme à la banane) poulain de Martelly, Jovenel Moïse, candidat du PHTK.
Tous les yeux étaient rivés sur ce dernier, soutenu par la « communauté internationale » et la nouvelle coalition politique dénommée « Entente Démocratique » (sic) dirigée par l’ancien Premier ministre de facto, Evans Paul. Alors qu’il réfutait catégoriquement l’existence même de la CIEVE – qu’il a qualifiée de « commission de falsification électorale » –, qui a mis à nu les irrégularités et fraudes massives concoctées par les tenants du pouvoir wòz et alliés pour le porter au pouvoir à tout prix, ainsi que la création du nouveau CEP, il a fini par confirmer sa candidature à la prochaine présidentielle. Il a sans doute compris que, s’il ne le faisait pas, « li t ap tou bannann an lagan » ! A dire vrai, son équipe de campagne a beau prétendre désormais gagner en enclenchant l’« opération du 2eme tour » après son fameux slogan « eleksyon yon sèl kout kle », ce à quoi on assiste, c’est une « opération de baroud d’honneur ». Jovenel Moïse – qui « a avoué […] à Valéry Numa [de Radio Vision 2000] qu’il fait face à une désertion terrible parmi les anciens membres de l’entourage de Martelly » (Rezonodwès, 16 août 2016) – sait sciemment que, dans l’état actuel des choses, le PHTK ne peut pas gagner cette élection.
En effet, la dynamique est incontestablement du côté de l’ex-opposition au pouvoir Tèt Kale représentée principalement par l’ex-G-8 (regroupement de 8 candidats pourfendeurs de l’administration wòz ) et le parti Fanmi Lavalas. Ce G-8 s’est auto-dissout récemment, sur la base d’un pacte de non agression. Trois d’entre eux (Steeven Benoît, Sauveur Pierre Etienne (et son parti l’OPL), Eric Jean-Baptiste) ont officiellement endossé la candidature de Jude Célestin de La ligue alternative pour le progrès et l’émancipation haïtienne (LAPEH), l’un des deux plus influents leaders du groupe avec Jean-Charles Moïse de Pitit Desalin. Ce ralliement, qui témoigne, à certains égards, d’une forme de maturité politique – même si l’opportunisme des uns et des autres n’est pas à ignorer totalement –, constitue un signe positif dans le paysage politique haïtien. Plus que jamais, Jude Célestin semble être au seuil du Palais national, mais Jean-Charles Moïse et Maryse Narcisse, compte tenu de leur base électorale, peuvent tout aussi l’emporter.
Cette analyse peut paraître, certes, erronée quand on sait qu’une élection se joue parfois au dernier jour, dans les dernières minutes, dans l’isoloir, mais elle est crédible, dans la mesure où elle est fondée sur deux éléments importants : d’une part, vu l’état de délabrement généralisé dans lequel l’administration Martelly a laissé le pays, on voit difficilement la majorité des Haïtiens accorder leur confiance à cette équipe Tèt Kale ; d’autre part, il est utile de rappeler qu’un sondage sorti des urnes réalisé par des chercheurs indépendants de l’Institut brésilien Igarapé, à partir d’entretiens avec plus de 1 800 électeurs dans 135 centres de vote dans l’ensemble du pays, avait révélé des résultats totalement différents de ceux publiés par le CEP de Pierre-Louis Opont. D’après cette étude, 37,5 % des enquêtés avaient indiqué avoir voté pour Jude Célestin, 30,6% pour Jean-Charles Moïse, 19,4% pour Maryse Narcisse. Jovenel Moïse, candidat du pouvoir sortant, était choisi par 6,3% seulement de l’échantillon (Le Nouvelliste, 19 novembre 2015).
A partir de là, si le nouveau CEP présidé par Léopold Berlanger agit en toute indépendance et organise de véritables élections honnêtes, crédibles et démocratiques – que le mandat du Président provisoire, Jocelerme Privert, soit prorogé ou non à l’Assemblée Nationale du 28 juin –, le prochain locataire du Palais national ne pourra être que l’un des principaux candidats issus de l’ex-G-8 ou la candidate de Fanmi Lavalas.
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