Choisissez un pays étranger en Haïti pour clôturer 2019

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Un vrai dilemme

par Abner Septembre

Mercredi 23 octobre 2019 ((rezonodwes.com))– L’année 2019 est jusqu’ici l’une des plus turbulentes et difficiles en Haïti, que connaissent nos générations actuelles. Certains ont fui le pays pour échapper à la misère, à la violence et au stress des rues. D’autres qui restent subissent activement ou passivement, dans leur chair et dans leur âme, le marteau des évènements.

Les faits sociaux sont d’abord l’expression et le produit d’un système de pensée, donc d’une vision du monde. On nous a toujours présenté Haïti comme un pays fortement marqué du sceau de l’ambivalence. C’est une vérité quand on considère, par exemple, la langue, l’espace géographique, la couleur de la peau, le milieu social, la situation économique très inégalitaire qui se résume par deux grandes catégories, l’une aux antipodes de l’autre : les riches et les pauvres.

Ces comparaisons dyadiques sont surtout faites pour constater un décalage, pour déplorer et dénoncer une situation d’injustice sociale, bref ce gap entre dominateur et dominé. Mais, tout en reconnaissant le bien-fondé de ces constats, si on faisait une rupture épistémologique au niveau psychosensoriel et visuel qui rendrait intelligibles et attrayants d’autres aspects de la réalité, peut être qu’on trouverait la clef qui aide à résoudre l’énigme du mal qui sape Haïti.

Il existe bien un pays étranger en Haïti, qui s’appelle pour certains « arrière-pays » et pour d’autres « pays en-dehors », dont l’organisation et le fonctionnement échappent à la logique mercantile, et qui, malgré la pénétration des valeurs occidentales, a su encore garder une résonance de l’âme africaine. Ces paroles poétiques de Léon Laleau, d’une rare élégance et profondeur, y font référence : « D’Europe, sentez-vous cette souffrance, Et ce désespoir à nul autre égal, D’apprivoiser, avec des mots de France, Ce cœur qui m’est venu du Sénégal1 ? ».

Mais, plus que l’ambivalence, elles expriment ce que Hegel dans le cadre de sa philosophie de l’esprit, Feuerbach au sujet de la religion, puis Marx dans son analyse matérialiste de la société, appellent aliénation, et que Jean-Price Mars de son côté nomme bovarysme collectif de l’élite haïtienne. C’est tout cela qui l’empêche d’avoir ce nouveau regard pour faire tourner autrement la vie sociale et économique du pays au profit du plus grand nombre. La campagne, une planche de salut …

Heureusement, malgré les troubles politiques qui sévissent en particulier dans les villes et les dommages collatéraux qu’elles entraînent, la campagne reste en gros fonctionnelle. À preuve, un ancien directeur d’école publique qui possède aujourd’hui son école privée en ville a dit que, durant cette période de crise, il a envoyé ses enfants à l’école « en-dehors ».

L’un des rares cas où cette expression ne parfume pas le péjoratif. Rendre « la campagne comme la ville émancipatrice » ne peut être qu’une opportunité de développement pour Haïti. Alors, au lieu de dépenser des fortunes pour envoyer ses enfants étudier ou pour faire du tourisme d’agrément à l’étranger, fort souvent dans le seul but de complexer l’autre ou de changer d’air, pendant qu’on refait à chaque fois le même chemin de croix, ce serait mieux d’identifier ces endroits que j’appelle « pays étrangers en Haïti », sûrs et stables, plus proches et moins chers, la qualité étant d’abord un rapport au contexte.

Ce choix de l’intérieur offre aussi l’avantage de faire découvrir de nouvelles réalités et d’apprendre beaucoup sur le pays, de manger bio et sain, de se frotter avec la vie paysanne, de faire circuler entre Haïtiens l’argent gagné dans le pays, et de permettre à plus de gens d’avoir les moyens pour s’éduquer, changer sur place leur statut et éviter la ruée vers les villes périphériques et la capitale, dont l’éclatement de leurs espaces les transforme en bidonvilles géants parsemés de ghettos. Il existe beaucoup de ces « pays étrangers en Haïti », dans tous les départements.

Ils sont accessibles par des routes carrossables et possèdent une infrastructure d’accueil raisonnable qui offre des services minimalement satisfaisants. Centre Banyen vous propose d’en choisir un pour clôturer l’année 2019. C’est plus abordable pour votre budget grevé par la crise. C’est également plus sûr et une opportunité d’offrir à la famille une autre ambiance conviviale, une nouvelle expérience gastronomique, éducative, ludique et communautaire, que vous ne sauriez laisser derrière vous sans un pincement au cœur. Pourquoi pas une politique publique … ?

Il est à constater et en même temps à déplorer que, malgré le choix du tourisme comme l’un des 4 vecteurs de la croissance [DSNCRP 2008 – 2010 ; MPCE, Nov. 2007], l’État ne s’est jamais penché sur l’élaboration d’une politique publique du «Tourisme rural et développement» en Haïti, ni n’a commandité des études sérieuses sur le potentiel de la filière, touchant effectivement les vrais acteurs, et encore moins n’a laissé transpirer dans le Plan Directeur du tourisme aucun modèle de promotion de destinations et d’itinéraires liés au tourisme rural. Un pays comme la Chine, par exemple, en a fait un pilier pour réduire de 20 % la pauvreté rurale à l’horizon de 2020.

Le complexe de tourisme écologique dans les montagnes, au niveau de la région Beijing-Tianjin-Hebei, est l’une des trois histoires réussies de lutte contre la pauvreté en Chine rurale [Internet, par Xiao Xiao, Yishuang Liu]. On peut aussi cité le cas du Maroc qui, grâce à l’aide de l’USAID via Chemonics International dans un programme lancé en 2002, s’est appuyé sur le tourisme rural pour concrétiser son ambitieux objectif d’attirer 10 millions de touristes en 2010 [Stimuler le tourisme rural, rapport final …, Maroc 2006].

Même si Haïti vit des moments de troubles qui empêchent la reprise du tourisme, il faut commencer par se donner ces outils (politique publique, stratégie et modèle de promotion de destinations ou d’itinéraires), pour ne pas rater à l’avenir d’autres rendez-vous et améliorer la compétitivité économique d’Haïti qui occupe dans le tout dernier classement du Forum Économique Mondial le 138e rang sur 141 pays.

Abner Septembre
Sociologue
Centre Banyen @ Vallue

1 COMMENT

  1. Cloturez 2019 sans eau, sans electricite….tout en sachant que le marche des armes Lourdes s’etend sur TOUT le territoire.
    Soyons serieux . Ce qui doit etre fait en Haiti, c’est arreter la corruption, creer un etat de droit et de services, sinon, vos articles sont aussi betes que les slogan TetKale. On ne vient pas en vacances pour faire de l’humanitaire, ou parce que l’on a pitie de l’endroit. Les hommes et les femmes du monde travaillent dur pour gagner leur vie et aiment passer des vacances dans la détente. Je pense qu’il n’est pas juste de « vendre » des vacances en Haiti. C’est un signe d’irresponsabilite.

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