Séparation des pouvoirs, indépendance et efficacité de la justice : Piliers indispensables de la démocratie

0
3161

Par Me. Jean-Michel Voltaire[1]

Mercredi 7 août 2019 ((rezonodwes.com))– La séparation des pouvoirs et l’indépendance du pouvoir judiciaire sont essentiels à tout gouvernement démocratique.  La notion de séparation des pouvoirs est  élaborée par le philosophe anglais John Locke (1632-1704) et Montesquieu (1689-1755), et vise à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines. Dans le contexte de notre analyse, nous approprions la définition de la démocratie du président Lincoln « un gouvernement du peuple, élu par le peuple et pour la défense des intérêts du peuple». 

C’est-à-dire que le peuple est souverain et élit ses représentants par des élections libres et équitables.  Ces élus sont responsables devant le peuple et doivent agir en son nom.  Par conséquent, le but d’un gouvernement démocratique est de servir le peuple, d’assurer sa sécurité et sa prospérité.  Pour ce faire, l’État de droit est devenu le principe fondamental sur lequel repose la démocratie.

Dans une démocratie, le gouvernement a des pouvoirs limités qui sont répartis entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire.  Chaque branche a ses propres responsabilités et doit agir dans ses limites.  La doctrine de la séparation des pouvoirs assure un équilibre des pouvoirs et protège la liberté individuelle contre les pouvoirs arbitraires du gouvernement. 

Il n’y a pas de démocratie sans un pouvoir judiciaire indépendant et efficace, capable de rendre la justice de façon juste et équitable.  En fait, le système judiciaire fait partie du fondement même de la démocratie.  Contrairement aux pouvoirs exécutif et législatif qui sont de nature politique et qui sont responsables devant leurs électeurs, le rôle du pouvoir judiciaire est différent. Son allégeance n’est pas à la politique, mais à l’État de droit.  Par conséquent, les juges doivent agir avec courage pour restreindre les pouvoirs arbitraires, sauvegarder les valeurs de l’État de droit afin de prévenir les abus politiques, tout en maintenant leurs fonctions judiciaires.

En effet, la séparation des pouvoirs et l’indépendance judiciaire sont indispensables dans une société démocratique et deviennent les moteurs de la prospérité économique et de l’innovation.  Si les institutions du gouvernement n’exercent pas leurs fonctions essentielles, ou si les lois ne sont pas adoptées et mises à jour par le pouvoir législatif, ne sont pas appliquées de la même manière par l’exécutif ou ne sont pas interprétées équitablement par le pouvoir judiciaire, la démocratie ne peut survivre.  L’absence d’institutions qui fonctionnent est donc la recette de l’instabilité politique, des disparités économiques, de la corruption et de l’anarchie.

A.- Bref historique de la règle de droit : Même le roi n’est pas au-dessus de la loi 

Il y a plus de 800 ans, en 1215, l’impopulaire roi Jean d’Angleterre a été contraint de signer un document juridique appelé (Magna Carta) la grande Charte par lequel les droits et libertés du peuple seraient protégés contre les pouvoirs arbitraires du monarque.  La Magna Carta comportait une série de limitations à l’autorité du Roi.  C’était le premier document écrit dans l’histoire du droit constitutionnel anglais à obliger le roi à accorder des droits à ses sujets anglais et à jeter les bases du l’institution parlementaire et des gouvernements constitutionnels.

Malgré la grande Charte des droits (Magna Carta), une longue et sanglante lutte s’ensuivit pour définir les droits de la monarchie par rapport à ceux du Parlement et des citoyens. La tension entre la monarchie et les autres institutions a atteint son paroxysme lorsque le roi Jacques Ier a pris le trône.   Le 24 mars 1603, la reine Elizabeth I mourut, et Jacques VI d’Écosse partit revendiquer le trône d’Angleterre, prenant le titre de roi Jacques Ier. Il agissait comme « un petit Dieu pour gouverner les hommes » avec des pouvoirs absolus.  Sous son règne, les lois adoptées par le Parlement ou par le Roi lui-même étaient suspendues par le Roi pour quelque raison que ce soit. Si la loi est muette sur une question, le Roi décide lui-même de l’affaire.  Les juges étaient simplement les délégués du Roi qui pouvaient retirer n’importe quelle affaire aux juges comme il le voulait.  Le roi était donc au-dessus de la loi.  En fait, le roi était la loi elle-même. 

En 1606, Sir Edward Coke a été nommé juge en chef de la Cour d’Angleterre des droits communs.  Sir Coke avait auparavant été solliciteur général, puis procureur général sous la reine Elizabeth I. Sous Elizabeth, son procureur, Coke avait été un ardent défenseur de la Couronne. Mais en tant que juge, il a vu un sombre nuage planer sur l’avenir de l’Angleterre à moins que ses lois soient respectées et appliquées équitablement, même dans un système monarchique.  Le juge en chef Coke a reconnu qu’il n’était pas d’usage pour les rois d’Angleterre de siéger au tribunal et de prononcer eux-mêmes le jugement, ou de retirer des poursuites devant les tribunaux quand bon lui semblait.  Pour le juge en chef Coke, les affaires devraient être tranchées par les tribunaux conformément à la loi et aux coutumes anglaises. Au risque de perdre la tête, Coke dit au roi Jacques Ier furieux que même lui « était sous Dieu et les lois ».

La décision du juge en chef Coke de contester les pouvoirs du roi était extrêmement courageuse et aurait pu être considérée comme une trahison passible de la peine de mort.  Le juge en chef Coke fut démis de ses fonctions, mais en affirmant la suprématie du droit sur les prérogatives du roi, il a créé un précédent vital selon lequel la primauté du droit doit l’emporter sur celle des hommes et a ainsi contribué plus que tout autre juriste à l’Independence du pouvoir judiciaire. 

B.- Doctrine de la séparation des pouvoirs[i]

De nos jours, la plupart des pays sont considérés comme démocratiques et ont une constitution.  Dans une démocratie constitutionnelle comme les États-Unis, les pouvoirs du gouvernement sont limités et répartis entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.  La doctrine de la séparation des pouvoirs repose sur le principe, issu de l’Esprit des Lois de Montesquieu, selon lequel la liberté est plus efficacement garantie par une dispersion de l’autorité gouvernementale.  Montesquieu reconnaît que si le pouvoir est concentré entre les mains d’une seule branche du gouvernement, une telle accumulation de pouvoir serait une tyrannie.  Le travail de Montesquieu a motivé les auteurs de la Constitution des États-Unis et de nombreux autres pays à concevoir leurs constitutions en fonction de ces principes.

            En d’autres termes, la thèse de Montesquieu selon laquelle l’équilibre des pouvoirs est devenu le fondement des gouvernements démocratiques pour protéger la liberté individuelle.  La doctrine de la séparation des pouvoirs fournit un mécanisme de contrôle du pouvoir gouvernemental.  Elle est vitale pour les gouvernements démocratiques parce qu’elle empêche une branche d’empiéter sur les autres et permet au peuple de contrôler son gouvernement, d’établir la responsabilité.   Parfois, ce système de partage des pouvoirs peut produire des conflits, de la confusion et des discordances, mais il est délibérément conçu pour assurer un débat complet, vigoureux et ouvert sur les questions morales, politiques, économiques et sociales touchant la population. 

Dans un tel système, l’exécutif et le législatif sont deux pouvoirs politiques dotés de pouvoirs énormes.  Leurs représentants sont élus par le peuple lors d’élections populaires et sont responsables devant l’électorat des politiques qu’ils adoptent et mettent en œuvre.  Les pouvoirs exécutif et législatif sont les yeux et la voix du peuple et incarnent la sagesse et la volonté du peuple. Mais les juges ne le sont pas.  Les juges ne sont pas élus et ne sont donc pas responsables devant le peuple.  Les juges doivent être indépendants de la politique et doivent résister aux pressions extérieures lorsqu’ils statuent sur des affaires.  Les juges sont responsables devant la loi, les préceptes de leur conscience ou le principe de justice.  Puisque la démocratie est fondée sur la primauté du droit et non sur la primauté des hommes, il est de la plus haute importance que l’administration de la justice soit absolument équitable et ordonnée, car le fonctionnement des tribunaux fait partie du fondement même de notre démocratie constitutionnelle.

  1. Certains des pouvoirs du législatif (organe politique délibératif)

Le pouvoir de taxer et de dépenser  et de recueillir des fonds pour le fonctionnement du gouvernement et la mise en œuvre des programmes gouvernementaux

Élaborer un budget pour le gouvernement

Élaborer, débattre et adopter des lois que l’exécutif exécute pour la bonne marche de son gouvernement. Ce pouvoir est une fonction essentielle du pouvoir législatif.

-Mettre périodiquement à jour les lois pour répondre aux besoins des citoyens.

Pouvoir d’enquêter sur l’efficience et la gestion des activités du gouvernement et sur l’efficacité des lois.  Tenir des audiences et de faire prêter serment aux témoins sous peine de parjure et d’émettre des assignations à comparaître pour des documents ou des témoignages

De publier des rapports d’enquête : la responsabilité de surveillance est essentielle pour contrôler les actions du gouvernement et sert de contrôle sur l’exécutif.

Pouvoir de mise en accusation : le pouvoir de révoquer le président, les juges et les membres de la haute direction pour inconduite. Ce pouvoir est un contrôle important sur les autres branches.

Pouvoirs de conseil et de consentement concernant les nominations judiciaires et les fonctions exécutives. Une fois que l’exécutif a nommé les juges ou les secrétaires de cabinet/ministres, le législateur doit vérifier leurs experiences et les interroger pour s’assurer qu’ils sont qualifiés pour exercer ces fonctions. C’est un autre contrôle sur les autres branches et l’Assemblée législative peut rejeter la candidature d’une personne nommée pour quelque raison que ce soit. 

Pouvoirs d’approbation des traités et conventions internationaux

Pouvoir de confirmer les ambassadeurs et de déclarer la guerre : Le pouvoir législatif est l’entité qui a le pouvoir d’amener le pays à la guerre. Exercer un autre contrôle du pouvoir exécutif sur les militaires afin de s’assurer que l’exécutif n’envoie pas nos jeunes hommes et femmes à la guerre sans l’autorisation du pouvoir législatif.

  • Pouvoir exécutif

Le Président a le pouvoir de signer les lois qu’il soutient ou d’opposer son veto à celles qu’il ne soutient pas.  Ce pouvoir confère au président un rôle important dans le processus législatif et sert de contrôle du pouvoir législatif contre toute intrusion dans les droits du peuple ou dans les pouvoirs des autres branches.

Pouvoir de veiller à ce que les lois soient fidèlement appliquées : Le Président a l’obligation constitutionnelle de veiller à ce que les lois soient appliquées de manière égale et respectées. L’application de la loi est l’un des pouvoirs les plus importants de l’exécutif.  Le Président sélectionne les juges et demande au législateur de les confirmer. Conduite des affaires étrangères;

Reconnaître les gouvernements étrangers, établir des relations diplomatiques, et négocier des traités et des accords internationaux;

Superviser les affaires militaires : Aux États-Unis, le président est le commandant en chef des forces armées. Le pouvoir d’exécuter les guerres 

Nommer les membres de son cabinet qui doivent être approuvés par le pouvoir législatif. Le Président peut congédier n’importe lequel de ses secrétaires de Cabinet et/ou n’importe quel membre du pouvoir exécutif nommé pour des raisons politiques. Le Président est le chef de l’exécutif et contrôle toutes les institutions de l’exécutif.

3.         Pouvoir judiciaire (détient le moins de pouvoirs que les deux autres branches)

Pouvoir de statuer sur les affaires : Les juges (États-Unis) sont nommés à vie et ne peuvent être révoqués par le législateur qu’en cas d’inconduite.  Le Président ne peut pas les révoquer.

Le mandat à vie des juges est un obstacle à l’empiètement et à l’oppression de l’organe représentatif. Il est vital pour l’indépendance des juges de se prononcer sur des questions politiques controversées. La tenure à vie renforce la démocratie. Les juges se fient à l’exécutif pour faire exécuter leurs jugements

Alexander Hamilton a eu raison lorsqu’il a fait remarquer ce qui suit dans le journal Federalist no. 78 :

«  Le pouvoir judiciaire, de par la nature de ses fonctions, sera toujours le moins dangereux pour les droits politiques de la Constitution, parce qu’il sera le moins à même de les ennuyer ou de leur nuire. L’exécutif non seulement distribue les honneurs, mais détient l’épée de la société.  Le législateur ne se contente pas d’ordonner la bourse, il fixe les règles selon lesquelles les devoirs et les droits de chaque citoyen doivent être réglementés.  Au contraire, le pouvoir judiciaire n’a aucune influence sur l’épée ou la bourse……  On peut vraiment dire qu’il n’a ni force ni volonté, mais simplement jugement ; et qu’il doit en fin de compte dépendre de l’aide de l’exécutif même pour l’application de ses jugements. »

Le pouvoir judiciaire s’exerce par le biais de la notion de contrôle juridictionnel.  Aux États-Unis, en 1803, la Cour suprême a rendu une décision importante, Marbury v. Madison, dans laquelle la Cour suprême a établi le droit des tribunaux de déterminer la constitutionnalité des actions des deux autres branches du gouvernement.  Le pouvoir d’examiner les actions des autres branches et de les déclarer illégales est un pouvoir énorme et une contribution unique à l’indépendance judiciaire dans une démocratie constitutionnelle.  Tout au long de l’histoire américaine, les tribunaux sont intervenus pour protéger la liberté individuelle et contrôler les actions du gouvernement.  Grâce au pouvoir de contrôle judiciaire, les tribunaux ont maintenu notre démocratie en vie. 

Pour que le pouvoir judiciaire soit efficace, il doit être indépendant des influences politiques.  Le juge Stevens a déclaré:  » La légitimité du pouvoir judiciaire dépend en fin de compte de sa réputation d’impartialité et d’impartialité politique. Cette réputation ne peut pas être empruntée par les Branches politiques pour revêtir leur travail des couleurs neutres de l’action judiciaire. »  Les juges ne sont pas des acteurs politiques. Ils ne siègent pas en tant que représentants de personnes, de communautés ou de partis particuliers ; ils ne servent aucune faction ou circonscription.  Les juges doivent s’élever au-dessus du moment politique lorsqu’ils prennent des décisions judiciaires.  Leur fidélité doit porter sur l’application de la primauté du droit, quelle que soit la volonté populaire perçue.

Par conséquent, l’indépendance judiciaire est vitale pour que les juges puissent s’acquitter de leur devoir de gardiens fidèles de la primauté du droit et protéger le peuple contre l’exercice des pouvoirs arbitraires des branches politiques.  Pour cette raison, toute influence politique sur les juges menace l’indépendance judiciaire au détriment de la démocratie elle-même.  

Pour être efficace, le public doit avoir confiance dans les décisions judiciaires.  Les juges doivent être neutres et exercer leurs fonctions judiciaires de façon juste et impartiale.  Ils doivent faire preuve d’une grande intégrité morale et d’excellence judiciaire.  Ils doivent être indépendants d’esprit et libres de tout intérêt personnel dans l’issue des affaires auxquelles ils sont affectés.  La confiance du public dans la magistrature serait minée si les juges étaient en conflit d’intérêts, ce qui nuirait à leur indépendance et à leur impartialité.

La confiance du public dans le jugement du pouvoir judiciaire est primordiale pour la pérennité de la démocratie.  Comme on dit souvent, Notre-Dame de Justice est une femme dont les yeux sont bandés. Le bandeau représente l’impartialité, l’idéal que la justice doit être appliquée sans égard à la richesse, au pouvoir ou à tout autre statut. En d’autres termes, la primauté du droit exige l’égalité de traitement de toutes les parties à un litige.  Les lois sont importantes, mais l’application des lois et la perception de la crédibilité du système sont tout aussi importantes.

Résumé :

Cinq  » principes de base  » d’une magistrature indépendante et efficace

1. Séparation des pouvoirs[ii]

– Le pouvoir judiciaire doit être indépendant des pouvoirs législatif et exécutif

– Les cas doivent être tranchés de façon équitable, impartiale et fondée sur les faits et le droit : pas de  » justice par téléphone  » ou de communications  » ex parte « .

– Mécanismes : La sécurité d’emploi des juges et des détenus

2. Transparence

– Les décisions judiciaires doivent être écrites et juridiquement contraignantes.

– Dossiers publics et dossiers judiciaires publics

– Les médias doivent avoir accès aux procédures judiciaires

3. Les juges doivent être hautement qualifiés et irréprochables.

– Vérification des titres de compétences académiques et professionnelles

– Bonne moralité, intégrité et tempérament judiciaire

4. Adhésion à des normes éthiques élevées

– Codes de déontologie judiciaire

– Les juges doivent préserver l’intégrité et l’indépendance de la magistrature.

– Éviter même l’apparence d’irrégularités

5. Le respect de la primauté du droit et non de la primauté de l’homme

– Lois promulguées et institutions juridiques établies

– Recrutement de personnel compétent pour les institutions judiciaires

– Respect du droit et de son rôle dans la société par le public

En résumé, dans une démocratie où les pouvoirs sont répartis entre plusieurs branches, le pouvoir exécutif n’a pas le pouvoir de dissoudre le pouvoir législatif, de prolonger leur mandat ou de contrôler les actions des juges.  Il doit y avoir une coordination entre les branches pour que le système démocratique fonctionne efficacement.

Voir les liens de référence :


[1] Me. Voltaire est un ancien procureur du ministère de la Justice des États-Unis pendant plus de 15 ans et est maintenant un haut conseiller juridique du ministère de la Santé et des Services sociaux des États-Unis. Me. Voltaire pratique le droit depuis près de deux décennies. Ce document est un résumé de sa présentation à la Voix d’Amérique dans une formation organisé pour les journalistes haïtiens à Washington. Les opinions exprimées ici sont les siennes et non celles du gouvernement des États-Unis.


[i] https://www.etudier.com/dissertations/Fiche-Technique-Checks-And-Balances/92277.html

[ii] https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2012-4-page-113.htm#

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.