Les médecins haïtiens sont en danger!

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par Dr Jean Ford G. Figaro,

  Violences à l’hôpital: les médecins haïtiens sont en danger. 

Jeudi 14 mars 2019 ((rezonodwes.com))–  Aussi loin qu’on puisse remonter dans toute l’histoire de déchaînement et d’impétuosité de cette nation hantée par les réflexes esclavagistes, les médecins haïtiens ont toujours été traités avec respect et déférence. Cette distinction à l’égard des disciples d’Esculape est non seulement basée sur les longues années d’études, mais aussi sur la vocation de soigner, guérir et soulager les malades.

Parmi les professionnels épargnés de la fureur des soldats de l’armée indigène, ils y figurèrent et furent protégés sous les ordres du général Jean Jacques Dessalines. Les mouvements de manifestations violentes propulsées et encouragées par l’opposition radicale depuis le mois de juillet 2018 dans le pays, semblent répercuter dans l’environnement inviolable des centres hospitaliers de la République, notamment ceux de l’espace métropolitain. Soignants et soignés, tous azimuts, sont victimes de la dégradation des conditions socio-économiques et politiques des haïtiens. Ces menaces dont subissent les travailleurs de la santé sont renforcées par des discours sulfureux de certains hommes politiques animés d’un désir pathologique de conquérir le pouvoir à n’importe quel prix. Ce climat délétère d’insécurité que connait le pays a déjà causé l’exode de plusieurs professionnels de la santé en vue de se protéger contre la violence grandissante et la délinquance qui sévit en toute impunité.

   Tout récemment, un événement inédit a sonné l’alarme et défrayé la chronique à l’Hôpital Universitaire d’Etat d’Haïti (HUEH), communément appelé, l’hôpital général. Un patient qui recevait des soins a été enlevé sous les yeux impuissants du personnel médical et exécuté dans les parages par des hommes lourdement armés et non identifiés. Un acte répréhensible et condamnable qui devrait attirer l’attention des autorités policières et du ministère de la santé publique afin de renforcer la sécurité des institutions sanitaires. Cette action était un wake-up call pour le système de santé où la sécurité et l’intégrité physique des patients sont menacées. Malheureusement, après cette exécution sommaire, aucune politique de prévention ou de sécurité n’a été mise en place au niveau des hôpitaux du pays, à l’exception du centre hospitalier en question. Sachant l’importance de la prévention en médecine, il me parait un peu paradoxal, qu’il faut attendre à chaque fois, l’occurence d’un cas pour prendre des actions.

Quand les médecins ne dénoncent pas la violence dans notre société et se taisent devant la quantité de blessés par balles arrivés dans les salles d’urgence, un jour, ils seront eux-mêmes les victimes. L’American College of Physicians, une association de spécialistes de médecine interne, avait publié dans sa revue un article qui qualifiait la violence par armes à feu de «crise de santé publique» et appelle, entre autres, à une meilleure régulation des ventes d’armes. Le papier recommande aussi aux médecins de demander à leurs patients s’ils ont des armes à feu à la maison, de leur parler des risques potentiels. Le système de santé publique haïtien doit-être à l’avant-garde de cette épidémie de violence puisqu’il est des premiers à faire face avec ses maigres moyens. En effet, les établissements de santé sont partie intégrante d’une société en pleine crise de valeurs. Il faut aussi rappeler que dans les hôpitaux, les violences institutionnelles, managériales, physiques, psychiques et sociales constituent des entraves à leur bon fonctionnement.

Les agressions verbales et physiques subies par un médecin dans la nuit du 9 au dimanche 10 mars, à l’Hôpital Universitaire de la Paix (Delmas 33), méritent la réprobation la plus totale de toute la société. Le pire, les agresseurs ne sont pas de vulgaires délinquants mais un commissaire du gouvernement accompagné de quelques policiers indisciplinés. Ceux qui étaient censés protéger le professionnel de la santé dans l’exercice de son sacerdoce ont failli à cette mission. Les conséquences de cette barbarie sont graves mais ne demeurent pas désespérées.Il faut plus que jamais réagir et lutter sans relâche contre ce phénomène. A part des condamnations, les offenseurs doivent répondre de leurs actes par devant les organes compétents de justice.

Cependant, il ne suffit pas de dénoncer et de demander justice pour le collègue, il faut exiger des mesures préventives garantissant la sécurité de l’espace de travail et la personne des soignants. Parmi les mesures les plus pressantes, je conseille 1- une présence permanente des policiers dans tous les centres hospitaliers du pays. Avec une telle disposition, les blessés par armes seraient immédiatement reportés aux fins d’investigation criminelle. 2- Que le port d’arme soit banni par quiconque au sein des institutions, sauf les personnes autorisées. 3- La mise en place d’un système de vidéo surveillance à l’entrée et dan les couloirs pourrait être envisagée. 4- Favoriser la formation des personnels hospitaliers à la gestion des violences. 5- Le vote d’une loi qui punirait les attaques sur tout professionnel de la santé dans son lieu de travail et que les peines encourues sont aggravées en cas d’agression physique.

 L’ hôpital est un lieu d’accueil de toutes les maladies et souffrances. Il est aussi celui des vulnérabilités ontologiques, autrement dit humaines, de la naissance de l’individu à la fin de sa vie. Même si l’histoire nous montre que depuis la nuit des temps, la violence est propre aux sociétés humaines, elle constitue, par contre, un fléau qu’il faut combattre. Il est triste d’assister à une baisse significative de la reconnaissance et du respect du métier du médecin.

Dans ce contexte difficile de la vie politique du pays, les médecins doivent se former à la prévention et se préparer à toutes éventualités d’autant que la féminisation de la profession risque d’accroître l’exposition aux diverses formes d’agressions.Tout médecin victime ne doit pas intérioriser les faits et ne doit non plus les absorber aux risques de laisser les assaillants circuler en toute impunité. Dans les sociétés contemporaines, la violence est un phénomène encore d’actualité et qui ne cesse de s’amplifier avec les décennies. Dans un pays où les ressources médicales sont déjà rares, les autorités sont appelées à agir et défendre le peu qui nous reste. Conscient de cette situation, attendre n’est plus acceptable. Les soignants doivent continuer, envers et contre tout, à brandir comme un étendard leurs valeurs d’altérité, d’humanisme et d’abnégation.

 Jean Ford G. Figaro, MD/McS-HEM

         Boston University

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