Montaigne Marcelin : Réflexions autour de la notation négative de Digicel par l’agence internationale Moody’s

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par Montaigne Marcelin

QUELQUES RÉFLEXIONS SUITE À LA DERNIÈRE ÉVALUATION DE L’AGENCE DE NOTATION  MOODY’S RELATIVE À LA DIGICEL

Vendredi 6 juillet 2018 ((rezonodwes.com))– Digicel, avec ses plus de 380 millions USD de chiffre d’affaires et ses plus de 4 millions d’abonnés pour l’année 2016 en  Haiti, a fait de notre pays son deuxième plus grand marché sur les 31 territoires où elle opère. La première République noire vient après la Papouasie Nouvelle Guinée et avant la Jamaïque en terme de part de rentrées annuelles du Groupe .




A ce titre (second plus important marché)  et considérant la place de cette entreprise Télécom  dans l’economie nationale,  la  dernière évaluation de Moody’s ,cette agence de notation et d’analyse financière de réputation internationale  , ne  devrait-elle pas susciter l’intérêt des responsables de l’économie et des finances haïtiennes , la société civile  et la population haïtienne en général ?

En effet l’agence de notation Moody’s dans une recente sortie vient d’évaluer NÉGATIVEMENT la perspective à long terme les télécommunications régionales du Groupe Digicel , arguant que la vente prévue de tours de téléphonie cellulaire pour réduire la dette de l’entreprise nécessite davantage d’informations.

Il est rare que Moody’s émette un tel changement de perspective pour Digicel. Cela indique une dégradation probable de la cote de crédit de l’entreprise si ses niveaux d’endettement restaient  élevés, signale t-on dans certains milieux informés.

L’entreprise de Denis O’BRIEN a une dette énorme à rembourser en 2020 et en 2021 : 3,3 milliards de dollars américains – et c’est ce qui préoccupe Moody’s.




« Le changement de perspective à NÉGATIVE reflète le fort effet de levier continu de la société et la piste réduite disponible à la société pour améliorer simultanément son profil de crédit fondamental et adresser ses grandes échéances anticipées », a écrit l’agence de notation dans cette  dernière évaluation de  cette entreprise.

Cependant, le Groupe Digicel a choisi d’ignorer ce changement de perspective, se concentrant plutôt sur certaines notations, fait-on remarquer .

Interrogés pour commenter, des responsables de ce groupe télécom ont déclaré: « Moody’s a maintenu notre cote de crédit et l’entreprise s’est engagée à réduire l’effet de levier d’un tour au cours de l’exercice grâce à une combinaison de moyens organiques et inorganiques. »

Digicel prévoit de vendre 450 de ses tours cellulaires dans les Caraïbes dans le but de réduire son endettement, une opération qui, selon la Digicel, devrait être finalisée au deuxième trimestre de son exercice financier, qui s’achèvera en septembre 2018.

L’opération, qui implique la cession-bail des tours, pourrait potentiellement réduire le ratio d’endettement de Digicel de 6,7 fois à 5,7 fois.

L’on ignone pour l’instant  si les plus de 2000 tours de la Digicel en Haïti seront concernées par cette opération et quel pourcentage feront effectivement l’objet de cession-bai!. De même l’impact éventuel de cette vente de tours sur le réseau de la Digicel en Haïti par rapport à la couverture et la qualité de service  n’est pas encore évalué.

L’année dernière, Digicel aurait vendu 202 tours de communication au Salvador à la société américaine Phoenix Tower International dans le cadre d’un contrat de plusieurs millions de dollars.




Dans son évaluation, Moody’s a qualifié de negative la perspective des notes de Digicel Group Limited et de Digicel Limited et a attribué une note NÉGATIVE à la perspective de Digicel International Finance Limited .

Cependant la notation reste stable ou «affirmée» avec une notation B2 pour Digicel Group Limited(DGL), ainsi que la notation B1 sur les notes non sécurisées de Digicel Limited et la notation Ba2 sur les facilités de crédit bancaire sécurisées de Digicel International Finance Limited.

HISTOIRE DE L’ENDETTEMENT DE LA  DIGICEL

L’Histoire de l’endettement de la Digicel fait ressortir 4 dates importantes. Des informations disponibles pour tout public montrent clairement que cet endettement a pris les proportions inquiétantes que l’on connait (6.4 Milliards USD) entre les années 2011 et 2015 :


1-  En septembre 2012, Digicel a émis et vendu 1,5 milliard de dollars en capital total de 8,25% de billets de premier rang échéant le 30 septembre 2020 et, en décembre 2013, DGL a émis et vendu un montant additionnel de capital de plus de 500 millions de dollars de billets de premier rang de 8,25% échéant le 30 septembre 2020 (collectivement, les «billets 2020»).

2- Le 5 mars 2013, Digicel a émis un montant total de capital de 1 milliard de dollars de billets de premier rang de 6,00% échéant en 2021 et le 22 mars 2013, Digicel Limited a émis un montant additionnel de 300 millions de dollars, 187 de billets supérieurs de 6,00% 2021 (collectivement, les «billets 2021»).


3- Le 2 avril 2014, Digicel a émis 1,0 milliard de dollars en capital total de billets de premier rang de 7,125% échéant le 1er avril 2022 (les «billets 2022»). Les intérêts sont payables au comptant chaque 1er avril et 1er octobre. Avant le 1er avril 2017, DGL peut racheter la totalité ou une partie des billets 2022 au prix de 100% du capital des billets 2022 rachetés plus la prime applicable.

4- Le 24 février 2015, Digicel a émis un montant en capital total de 925 millions de dollars de billets supérieurs de 6,750% échéant en 2023 (les «billets 2023»). Les intérêts sur les billets de 2023 s’accumulent au taux de 6,750% par année et sont payables semestriellement à terme échu le 1er mars et le 1er septembre de chaque année.

TRANSACTIONS INORGANIQUES

« Digicel envisage d’autres transactions,  telles que la vente d’actifs, ce qui pourrait accélérer la réduction de la dette nette, mais le calendrier et le montant des produits liés demeurent incertains »,fait aussi remarquer  Moody’s dans cette évaluation.

« Le déclin de l’endettement ne sera que progressif: Digicel est confrontée à d’importantes échéances de dettes à partir de 2020, avec une première obligation de maturité de 2 milliards de dollars US au Digicel Group, suivie d’une échéance obligataire de 1,3 milliard de dollars chez Digicel Limited pour avril 2021. La perspective négative considère également que le profil financier actuellement faible de l’entreprise limite les options de refinancement du groupe.  »

A ces difficultés  financières générales, il faudra ajouter celles que ne manquera d’engendrer le renouvellement de la licence d’exploitation  de la Digicel  en Haiti qui arrivera à terme en 2020 , en particulier si l’organe de regulation en Haiti met à execution sa menace  de faire passer les redevances Télécoms de 1.49% à 5 % du chiffre dans la nouvelle licence comme annoncé dans une publication en date du 9 et 10 juin dans le quotidien haïtien Le Nouvelliste.

Même si certains experts n’accordent pas une trop grande importance à cette volonté exprimée officiellement par le régulateur haïtien d’augmenter considérablement  les redevances des opérateurs Télécoms, ( l’arrêté concrétisant cette decision est annoncé depuis maintenant neuf mois, mais rien n’est fait à date) étant donné  les intérêts en jeu  et les faiblesses de l’Etat haïtien (absence de cadre légal adéquat, non-transparence dans les grandes décisions) cependant  ce renouvellement de licence qui arrive à échéance en  2020 pourrait faire planer  des incertitudes supplémentaires sur la situation financière de cette multinationale.

Moody’s reconnaît également que même si Digicel occupe la première position sur 22  parmi ses 31 marchés, son niveau d’endettement et ses flux de trésorerie disponibles négatifs sont préoccupants.

« Digicel est également présente sur les marchés émergents avec une histoire d’instabilité et d’exposition aux événements météorologiques défavorables, et est exposée au risque de dépréciation de la monnaie par rapport au dollar américain », a déclaré l’agence de notation. Cependant il faudrait ajouter les risques liés à l’instabilité sociale et politique et  ceux en rapport à l’absence d’institutions compétentes/crédibles et de cadre légal et réglementaire adaptés (Nécessité de la Réforme globale de l’État), si l’on considère la situation particulière d’Haïti.

Moody’s prévoit que les flux de trésorerie disponibles s’amélioreront et atteindront au moins le seuil de rentabilité à la fin de l’exercice 2019, en raison d’une réduction des dépenses en capital.

« Les notations de Digicel pourraient être revues à la baisse si la société ne réduit pas sa dette à l’EBITDA au-dessous de 6,0 fois dans les 12 prochains mois ou si la société ne refinance pas ses échéances importantes avec anticipation, au moins 12-18 mois avant l’échéance. Le profil de liquidité de l’entreprise déclencherait également une dégradation « , a ajouté Moody’s.

D’un autre côté, Moody’s mettrait à jour les notes de Digicel si l’effet de levier était en passe de tomber en dessous de 4,0 fois la dette par rapport à l’EBITDA.

Cependant selon le site irlandais « Independent.ie»  , un porte-parole de Digicel a déclaré que la société s’était engagée à réduire la dette et avait déjà fait ses preuves en matière de refinancement des dettes. « Digicel reste pleinement engagée dans le désendettement d’un tour pour atteindre son objectif de désendettement brut d’ici mars 2019. Les initiatives déployées à ce jour continuent de gagner du terrain. Digicel a de très solides antécédents de refinancement en avance sur les échéances obligataires et n’a pas d’échéance majeure en moins de deux ans « , a-t-il déclaré.

Digicel, fondée par le milliardaire irlandais Denis O’Brien, opère dans plus de 30 marchés couvrant les Caraïbes, l’Amérique centrale et les îles du Pacifique. Le groupe a déclaré une perte nette de 99 millions de dollars américains sur des revenus de 2.4 milliards USD pour l’année fiscale 2018 . L’année dernière, il a enregistré une perte nette de 6 millions de dollars américains , selon le journal jamaïcain  « The Gleaner ».

Le groupe a indiqué que son rendement en année pleine était conforme aux attentes, indiquant que les revenus étaient en baisse en raison d’un certain nombre de facteurs affectant différents marchés, notamment la baisse des appels vocaux, des ouragans et des changements tarifaires, toujours selon « The Gleaner ».

Haiti a représenté en 2016 environ 18 -20% des recettes  globale du Groupe Digicel et a enregistré ses meilleurs résultats en 2013, plus de 500 millions USD de chiffre d’affaires. Le nombre d’abonnés a stagné autour 4.4 Millions durant les cinq(5) dernières, tandis que le chiffre d’affaires a atteint sont plus bas niveau  durant l’année 2016 , soit près de 384 millions USD, selon les chiffres rendus publics dans le  quotidien haïtien Le Nouvelliste.

Somme toute cette dernière évaluation de l’agence Moody’s relative au premier opérateur opérateur téléphonique en Haïti doit être prise pour ce qu’elle est. Même si elle soulève de nombreuses questions quant à l’avenir du secteur Télécom en Haïti, elle ne doit pas nous alarmer . Ni être ignorée non plus. Nous devons saisir cette opportunité pour comprendre la nécessité et l’urgence de réformer le secteur afin d’offrir un meilleur environnement pour les affaires et de bien meilleurs services à la population en Haïti.

Nous devons arrêter de nous voiler la face, faire passer le temps, nous mentir à nous-même et résister à toute idée de changement véritable dans le secteur.

Pour paraphraser Herold Jean Francois ( Voir « Quand le Conatel se trompe d’époque… » Le Nouvelliste 9 et 10 juin 2018), ce n’est pas le Conatel uniquement qui se trompe d’époque, c’est aussi  le cas pour nous tous qui pensons pouvoir  sauver et profiter de ce modèle  « insoutenable mais qui survit grâce à un système politico-médiatique, à un establishment qui, au fond, sont antinationaux. » pour emprunter les mots d’un autre journaliste, Roberson Alphonse.

Saurons nous, élites de ce pays, faire les dépassements  nécessaires à temps, comprendre le sens de l’Histoire et répondre  à l’appel du pays profond pour changer cette situation et arrêter cette descente aux enfers ? Là est toute la question. Moody’s n’a sûrement pas la réponse.

Montaigne Marcelin

Consultant Indépendant, 5 juillet 2018

 

Ref : www.jamaica-gleaner.com , www.independent.ie

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