Immigration : Les Syriens en Haïti

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‘Bord de mer : un siècle d’immigration en Haïti’

PORT-AU-PRINCE, 8 Sept. – Les files interminables de réfugiés syriens débarquant en Europe de l’Ouest, avec une préférence pour l’Allemagne de la chancelière Angela Merkel, ne peuvent ne pas nous rappeler qu’il y a un peu plus d’un siècle c’est Haïti qui était l’une de leurs destinations favorites. Plusieurs milliers d’entre eux ayant été débarqués à l’époque, fin du 19e siècle, sur les côtes de pays de la Caraïbe et de l’Amérique centrale, fuyant la misère et différents troubles dans leurs pays.
On est certain que l’Allemagne ne fait pas une mauvaise affaire en leur ouvrant plus largement, et plus généreusement que les autres, ses frontières si l’on en juge par les performances réalisées dans nos pays, témoignage à la fois de la part de cette communauté d’une grande force de travail et d’un remarquable sens d’organisation. Prête aussi à faire face à l’adversité.
Beaucoup de documents dans notre Histoire en témoignent, dont le plus connu aujourd’hui est bien sûr le film intitulé ‘Bord de mer’, consacré à cette communauté par le réalisateur Mario Delatour.
‘Bord de mer : un siècle d’immigration en Haïti’ de Mario Delatour, production Amistad Films, 2005.
Dans un compte-rendu du film par notre collaborateur Hugues Saint-Fort (Août 2012), on lit : ‘Vers la fin du XIXe siècle, plusieurs Libanais ont pris le chemin de l’émigration, du port de Beyrouth à Port-au-Prince, capitale d’Haïti …
‘Un pays qui a captivé les Libanais et malgré la discrimination (rencontrée), ils s’y sont établis à partir de 1880, notamment dans le quartier du Bord de Mer, à Port-au-Prince, qui était depuis plusieurs décennies un grand centre commercial tenu par la bourgeoisie haïtienne ainsi que par les Français, les Allemands, les Italiens et les Américains.

Plusieurs d’entre eux furent expulsés …
‘De condition modeste, les Libanais se sont éparpillés à travers tout le pays. Comme le plus souvent ils étaient vendeurs de pacotilles et colporteurs, ils furent surnommés avec mépris « Arab bwèt nan do’ (errant avec une boite sur le dos). Cependant grâce à un sens inné des affaires, ils ont vite commencé à gagner de l’argent et c’est alors que les persécutions de la part de la bourgeoisie haïtienne commencèrent contre ces étrangers.’ Donnant lieu à toutes sortes de moqueries, telles « Arab manje koulèv » (mangeurs de serpent).
La bourgeoisie qui avait le contrôle du pouvoir ainsi que des institutions, n’hésita pas à voter une loi, en 1903, stipulant que « aucun individu dit syrien » ou ainsi dénommé dans le langage populaire, « ne sera admis sur le territoire de la république, accordant six mois à ceux déjà dans le pays pour liquider leurs affaires commerciales. Plusieurs d’entre eux furent expulsés sous les gouvernements de Nord Alexis et de Cincinnatus Leconte.

Occupation américaine …
‘Il faut attendre l’occupation américaine de notre pays (1915-1934) pour voir cette communauté commencer à se stabiliser, les Américains voyant en eux de bons commerçants mais aussi capables de les aider à arracher l’économie haïtienne de l’influence européenne, principalement allemande. L’occupation américaine d’Haïti se situant par-dessus les deux grandes guerres (la Première et la Seconde Guerre mondiale) avec toujours l’Allemagne comme adversaire.
La première chance de consolidation de la communauté Libanaise d’Haïti, aujourd’hui dite ‘Syro-Libanaise’, fut donc l’occupation américaine.

Aujourd’hui tout est pour le mieux …
La seconde sera l’arrivée au pouvoir du dictateur François Duvalier pour remplacer la bourgeoisie claire qui avait pris partie pour son adversaire, le candidat mulâtre, l’entrepreneur Louis Déjoie.
Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Entre autres, les Levantins pour les uns, pour d’autres Libanais, mais aussi Syriens, et aussi Palestiniens, se sont finalement entremêlés avec l’ancienne bourgeoisie haïtienne qui leur faisait autrefois la guerre. Et aujourd’hui tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Il est vrai que les masses quant à elles n’ont jamais fait de différence et c’est le peuple qui justement fera la différence en se contentant de profiter des meilleurs prix que traditionnellement lui fait le commerçant ‘Syrien’, aujourd’hui comme hier. Nous avons dit ‘Syrien’ car c’est le nom générique utilisé en Haïti pour désigner cette communauté, alors qu’il s’agit aussi bien de Libanais (comme les Handal) que de Syriens (Boulos), de Palestiniens (Izmery) et autres.

‘Une offensive américaine’ …
Plusieurs auteurs haïtiens ont opiné sur cette migration presque unique dans notre Histoire (comme on dit aujourd’hui : Sud-Sud) et les difficultés qu’elle a rencontrées.
Par exemple, pour le sociologue et historien Michel-Rolf Trouillot (1986), ‘l’année 1890-1891 marque le second tournant de la mainmise américaine sur le marché des importations, d’abord à cause de la crise de l’économie locale dont les Américains savent profiter (Justin 1915), ensuite à cause de l’émigration syrienne qui leur fournira leurs intermédiaires favoris.’
‘Ce qu’on a appelé « l’invasion syrienne » en Haïti doit se comprendre en réalité comme la confirmation définitive de l’emprise américaine sur le Bord-de-Mer (M-R Trouillot). Le Département d’Etat se servit de l’exode forcé des « Syriens » fuyant la chute de l’empire ottoman, pour ‘se créer une clientèle économique et politique qui favoriserait leurs intérêts commerciaux. « L’invasion syrienne fut, dans les résultats, une offensive américaine.’
Il est vrai que ce sont des croiseurs américains qui assureront le transport des réfugiés mais pour les déposer sur les côtes de pays de la Caraïbe et d’Amérique centrale, et non aux Etats-Unis mêmes.

Plus que l’argument de xénophobie …
Selon l’économiste haïtien Alain Turnier (cité aussi par Hugues St-Fort), ‘dès 1903, il n’existait déjà plus de commerçants haïtiens réellement importants.’
Ce qui peut expliquer aussi l’hostilité que les nouveaux venus trouvèrent chez les commerçants haïtiens ‘natif-natal.’ Plus que l’argument de xénophobie qui a beaucoup plus souvent été évoqué.
Aujourd’hui encore on souligne l’indifférence superbe des Etats-Unis alors que l’Europe occidentale est menacée d’être noyée sous plusieurs centaines de milliers d’arrivants n’ayant pas plus comme bagages … que ceux qui avaient débarqué en Haïti vers la fin du 19e siècle.

Mélodie 103.3 FM, Port-au-Prince

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