31 décembre 2025
222 ans après 1804 : Haïti, Etat fondateur face aux indépendances tardives des pays de la FSG
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222 ans après 1804 : Haïti, Etat fondateur face aux indépendances tardives des pays de la FSG

L’Edito du Rezo

À l’approche du 222ᵉ anniversaire de l’indépendance d’Haïti, l’engagement de la Force de suppression des gangs (FSG) impose une relecture rigoureuse des trajectoires de souveraineté. État né en 1804 d’une rupture révolutionnaire antiesclavagiste, Haïti se trouve, deux siècles plus tard, assistée par des États dont l’indépendance est intervenue au XXᵉ siècle, dans des cadres juridiques négociés. Ce renversement symbolique interroge la continuité des tutelles sécuritaires depuis 1915 et l’échec persistant des élites dirigeantes à restaurer une souveraineté institutionnelle effective. À ce titre, il ne leur est plus permis de prendre la parole le 1ᵉʳ janvier, date fondatrice de la nation. La mémoire de Jean-Jacques Dessalines rappelle que la grandeur d’un homme d’État ne se mesurait ni aux diplômes ni aux titres, mais à la capacité d’assumer un destin collectif, d’affronter l’ordre impérial et d’ériger la liberté en principe non négociable.

Haïti accède à l’indépendance au terme d’une guerre de libération totale, sans équivalent dans l’histoire moderne. L’acte fondateur de 1804 procède d’une destruction juridique et militaire du système esclavagiste, inscrivant l’État haïtien hors des trajectoires coloniales classiques. Les dirigeants de l’époque — Dessalines, Christophe, Pétion — inscrivent cette souveraineté dans une doctrine de retenue : absence de toute ambition expansionniste, refus d’intervenir dans les territoires voisins demeurés sous domination coloniale, et affirmation d’un État non conquérant. Cette posture politique, fondée sur la dignité et l’autonomie, tranche avec les pratiques contemporaines qui réduisent la souveraineté à une variable de gestion sécuritaire.

À l’inverse, les principaux États aujourd’hui engagés dans la FSG ont accédé à l’indépendance dans la seconde moitié du XXᵉ siècle, au terme de processus institutionnels négociés. Kenya devient indépendant en 1963, à l’issue de la décolonisation britannique. Jamaïque accède à la souveraineté en 1962, Bahamas en 1973, Belize en 1981, tout comme Antigua-et-Barbuda. Ces États émergent dans un contexte international structuré par le droit onusien de la décolonisation, très éloigné de la violence fondatrice haïtienne du XIXᵉ siècle.

Cette asymétrie historique confère à la présence de la FSG une portée profondément paradoxale. Un État souverain depuis 1804, pionnier de l’émancipation noire et de l’égalité juridique, se trouve placé sous assistance armée par des États dont l’existence souveraine est postérieure de plus d’un siècle. Depuis 1915, Haïti a connu une succession d’occupations, de missions et de dispositifs internationaux qui tendent à se substituer à la reconstruction de l’appareil institutionnel, sans jamais traiter les causes structurelles de l’effondrement de l’autorité publique.

Honte à vous, dirigeants successifs et gestionnaires de la transition — Ariel Henry, Garry Conille, Laurent Saint-Cyr, Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles, Fritz Alphonse Jean, Leslie Voltaire, Alix Didier Fils-Aimé, Claude Joseph, Moïse Jean-Charles — pour avoir banalisé la dépendance, normalisé l’assistance armée et substitué la gestion conjoncturelle à la reconstruction de l’État.
Comment un État né en 1804 peut-il encore, deux siècles plus tard, être administré comme un territoire sous probation internationale ?

À l’aune de l’héritage de Dessalines, cette interrogation ne relève ni de la rhétorique ni de l’émotion, mais d’un constat juridique et historique implacable. Honte à vous.

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