L’ombre de 2010 plane encore sur la scène politique haïtienne. La visite d’Albert Ramdin, aujourd’hui à la tête de l’OEA, ravive des souvenirs d’une période où l’organisation avait joué un rôle controversé dans le processus électoral.
À l’époque, la mission d’experts mandatée par l’OEA avait recommandé l’éviction du candidat en tête, Jude Célestin, au profit de Michel Joseph Martelly pour le second tour, sous la pression explicite de partenaires internationaux. Une intervention qui avait soulevé des doutes profonds sur le respect de la souveraineté nationale et sur la capacité d’Haïti à décider elle-même de son avenir démocratique.
Les acteurs politiques de ce temps-là, dont le président René Préval, avaient dû composer avec une influence étrangère rarement assumée, mais lourdement ressentie. Cette mise à l’écart d’un candidat sans décision judiciaire ni recomptage transparent avait ébranlé la confiance dans les institutions et dans la valeur du vote haïtien. Beaucoup y avaient vu non pas un accompagnement démocratique, mais une intrusion directe dans le choix populaire.
Quinze ans plus tard, Ramdin revient en Haïti avec un pouvoir élargi. Et ses déclarations pressant les autorités actuelles d’organiser des élections interpellent. Le pays traverse une crise sécuritaire sans précédent, où la violence et l’argent des groupes armés imposent leur loi sur des quartiers entiers. Parler d’élections dans un tel contexte, sans forces de l’ordre opérationnelles ni espace public sécurisé, relève au mieux d’un optimisme déconnecté, au pire d’une répétition d’erreurs déjà coûteuses pour la démocratie haïtienne.
La question demeure : comment garantir un scrutin crédible alors que la libre circulation, l’intégrité des urnes et la protection des électeurs ne sont pas assurées ? Haïti n’a pas besoin d’un nouveau cycle de pressions internationales, mais d’un accompagnement respectueux, ancré dans la réalité du terrain et conscient des traumatismes institutionnels hérités de 2010-2011. Le défi n’est pas de fixer une date électorale, mais de reconstruire les conditions mêmes qui donneront un sens au vote.
À l’heure où l’OEA tente à nouveau d’influencer l’agenda politique du pays, la vigilance s’impose. La démocratie ne se décrète pas de l’extérieur : elle se protège, se bâtit, et surtout, elle se respecte.
Josten Louinon

