FLASHBACK – Quand l’OEA redessina le second tour de l’élection 2010-2011
PORT-AU-PRINCE — Le processus électoral de 2010-2011 constitue un jalon particulièrement marquant dans l’évolution politique d’Haïti. Les archives rappellent qu’une mission d’experts de l’Organisation des États américains, sollicitée dans un climat de contestation généralisée, a profondément influencé la configuration du scrutin. Les résultats préliminaires plaçaient Michel Martelly en troisième position, derrière Mirlande Manigat et Jude Célestin. L’audit de l’OEA renversa cet ordre.
Le premier tour du 28 novembre 2010 avait été entouré de soupçons persistants : irrégularités sur les listes, urnes contestées, procès-verbaux écartés. Dans ce contexte, l’arrivée de la mission d’experts était présentée comme une tentative de restaurer une forme de lisibilité technique. Son rapport, publié en janvier 2011, recommanda l’exclusion de Jude Célestin du second tour après une révision statistique des procès-verbaux retenus comme problématiques. Haïti ne dispose plus, depuis lors, des attributs effectifs d’un État souverain, affirmation récemment réitérée par Laurent Saint-Cyr le 2 décembre 2025, quatorze années après les faits. L’acte posé en 2011 s’imposa immédiatement comme une intervention dont l’impact institutionnel s’annonçait déterminant.
La réaction politique fut rapide. Sous une pression diplomatique intense, le Conseil électoral provisoire adopta les recommandations et procéda au reclassement. Michel Martelly accéda ainsi au second tour, affrontant Mirlande Manigat. Cette modification officielle, directement inspirée de l’expertise internationale, introduisit une interrogation durable sur la frontière entre assistance technique et influence politique.
Les débats récents autour de l’architecture électorale haïtienne, dans un contexte d’insécurité et d’impunité, réactivent les interrogations nées de l’épisode de 2011. L’instauration, par un décret tendancieux, de dix Centres de tabulation de votes (CTV) marque une rupture préoccupante. Cette multiplication des structures de traitement des résultats, jusque-là centralisées, ouvre un champ d’incertitudes majeures : fragmentation des opérations, vulnérabilité accrue aux manipulations locales, opacité dans la chaîne de vérification et dilution des responsabilités institutionnelles. Plusieurs spécialistes y voient une configuration propice à la fabrication de résultats divergents, voire à la construction parallèle de narratifs électoraux destinés à légitimer un vainqueur prédéfini.
Dans les analyses postérieures, le consensus académique demeure fragmenté. Certains avancent qu’il s’agirait d’une tentative d’adapter un processus déjà miné par ses propres défaillances. D’autres soutiennent que cette démarche inaugure un mécanisme d’externalisation et de dispersion du pouvoir électoral, aggravant l’érosion de l’autorité centrale et affaiblissant ce qui subsiste de l’intégrité institutionnelle.
Quatorze ans après l’intervention décisive de l’OEA dans la reconfiguration du scrutin de 2010-2011, l’ensemble de ces évolutions réaffirme la nature structurante de cet épisode dans la relation entre Haïti et l’organisation régionale. L’affaire continue d’alimenter les discussions sur l’autonomie électorale, sur les modalités de certification internationale et sur les dérives possibles d’une délégation de fait de l’arbitrage politique à des acteurs extérieurs — désormais aggravées par l’apparition de dix centres de tabulation extralégaux qui font planer le risque d’une fabrication mécanique du résultat final.
Staff Rezo Nòdwès

