Dans les chancelleries occidentales, le président haïtien n’est plus perçu comme un chef d’État souverain, mais comme un simple gestionnaire que l’on rappelle à l’ordre au besoin. Les États-Unis et le Canada se permettent désormais avec Haïti ce qu’ils n’oseraient jamais tenter avec un pays considéré pleinement souverain.
Pourtant, dans le monde moderne, la colonisation est reconnue comme un crime contre l’humanité. Ironie de l’histoire : Haïti, première nation à avoir définitivement aboli cette logique en 1804, demeure aujourd’hui le seul pays pour lequel l’ingérence étrangère semble normalisée. Lorsqu’un ambassadeur écrit directement à un conseiller présidentiel pour lui exiger une rétractation sur une décision interne, il s’agit d’une violation flagrante de la Convention de Vienne et de la Charte des Nations unies, qui interdisent toute intrusion dans les affaires intérieures d’un État.
Mais cette humiliation répétée n’aurait pas autant de prise sans la docilité d’une grande partie de la classe dirigeante haïtienne. Corrompus, sans éthique ni sens de l’État, beaucoup agissent comme s’ils étaient les administrateurs d’une province sous tutelle plutôt que les représentants d’une nation libre.
La récente sanction imposée par les États-Unis au conseiller présidentiel Fritz Alphonse Jean confirme cette dynamique. Sous prétexte de lutte contre l’instabilité, Washington utilise la violence et l’insécurité en Haïti comme outils d’influence : manipulation du visa, accusations opportunistes de « terrorisme », pressions diplomatiques — tout sert à maintenir un contrôle politique et stratégique sur le pays.
Plus grave encore : lorsque ces responsables sont au pouvoir, ils oublient le peuple. Durant ses six mois à la tête du Conseil Présidentiel de Transition, l’économiste devenu coordonnateur n’a adopté aucune mesure significative en faveur de la population. Les grandes théories qu’il enseignait se sont évaporées dès que l’autorité lui a été confiée. Maintenant sanctionné et déchu de son visa, il appelle soudainement le peuple à la rescousse.
Une seule question s’impose :
Qu’avez-vous fait pour le peuple lorsque vous déteniez le pouvoir ?
Le proverbe créole résume parfaitement la situation :
« Lè manje a te nan bouch ou, ou pa t wè pèp la. Se lè yap trangle w ak li wap rele pèp. »
La politique haïtienne demeure prisonnière d’une logique où maîtres et esclaves coexistent, non par fatalité, mais par complicité.
La leçon pour la classe politique est limpide :
un peuple ignoré ne répond jamais aux cris de ceux qui l’ont trahi.
Haïti ne retrouvera sa véritable souveraineté que le jour où ses dirigeants défendront la nation avec la même ardeur qu’ils défendent leur visa.
Alceus Dilson Communicologue, Juriste

