Le pouvoir en Haïti n’a jamais été un espace de repos. Mais rarement la tension aura semblé aussi palpable qu’aujourd’hui, alors que le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) et le premier ministre Alix Didier Fils-Aimé s’enfoncent dans un conflit qui expose, au grand jour, les fragilités d’une transition déjà vacillante.
Selon l’influenceur politique Rudy Sanon, plusieurs membres du CPT seraient furieux contre Fils-Aimé, qui aurait choisi de porter leurs différends internes devant le chargé d’affaires américain à Port-au-Prince, Henry T. Wooster. Dans un pays où la souveraineté se conjugue trop souvent au conditionnel, ce geste est perçu comme une humiliation : un chef de gouvernement qui contourne l’autorité nationale pour solliciter l’arbitrage diplomatique étranger.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Toujours selon Sanon, le premier ministre se sentirait protégé par des soutiens à Washington, notamment au Département d’État, et par Eric Prince, magnat du mercenariat privé et acteur controversé engagé en Haïti. Cette supposée proximité renforcerait, dans l’opinion publique comme au sein du CPT, l’image d’un chef de gouvernement devenu « intouchable », convaincu que ses appuis extérieurs le mettent au-dessus des règles internes de la transition.
Dès lors, une question brûlante émerge :
Le CPT peut-il révoquer Fils-Aimé sans provoquer une crise diplomatique immédiate ?
Le droit – ou ce qu’il en reste dans l’architecture provisoire actuelle – leur en laisse théoriquement la possibilité. Mais Sanon affirme que Wooster aurait averti les conseillers : toute tentative de destitution pourrait entraîner des représailles, notamment la révocation de visas américains. Une menace implicite mais redoutablement efficace dans un pays où l’élite politique voit les États-Unis comme un passage obligé.
Cette semaine qui s’ouvre s’annonce donc décisive. Le CPT acceptera-t-il d’être réduit au rôle symbolique de chambre d’enregistrement d’un premier ministre renforcé par des parrains étrangers ? Ou décidera-t-il de rappeler que la transition lui confère la légitimité première, quitte à contrarier Washington et ouvrir une nouvelle zone de turbulence diplomatique ?
La question dépasse les hommes. Elle touche à la dignité politique d’un pays trop longtemps façonné par la peur de déplaire à ses alliés internationaux. Haïti ne peut pas prétendre à un avenir stable si, à chaque tension interne, les acteurs se tournent vers des protecteurs étrangers au lieu de résoudre leurs différends dans un cadre institutionnel clair.
Les membres du CPT sont désormais devant un choix historique :
se courber face à la pression extérieure, ou assumer jusqu’au bout la mission transitoire qui leur a été confiée.
Non pas en cherchant le bras de fer pour le principe, mais en réaffirmant une exigence : la transition doit être haïtienne dans ses décisions, dans ses responsabilités et dans ses risques.
Les prochains jours diront si les conseillers présidentiels choisiront la prudence, la défiance ou le courage politique. Ce qui est sûr, c’est que l’histoire saura reconnaître ceux qui auront agi en serviteurs d’un pays et non d’un protectorat déguisé.
Josette Larosine

