10 novembre 2025
Billet à Michèle Voltaire Marcelin à propos de son poème « L’histoire a faussé les comptes »
Actualités Culture

Billet à Michèle Voltaire Marcelin à propos de son poème « L’histoire a faussé les comptes »

Par Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

Conseiller spécial, Conseil national d’administration

du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)
Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)

Membre du Comité international de suivi du Dictionnaire des francophones

Montréal, le 10 novembre 2025.

Chère Michèle,

À plusieurs reprises –et avec grand plaisir–, j’ai lu ton magnifique poème intitulé « L’histoire a faussé les comptes ». En décours de lecture, je me suis laissé habiter par le tumulte qui, vêtu du souffle salin des marées insulaires, affleure d’une poésie cousue de lumière. 

Je te le dis sans hésiter et en toute clarté : la poésie de Michèle Voltaire Marcelin est une parole de haute voilure. Elle nous est confiée sur les cimes et dans les plissures de la déclamation de la langue-étendard, de la langue-manifeste au sens où l’entendaient les poètes surréalistes nourris du petit-lait de la révolte. Parole de haute voilure, la poésie qu’elle nous tend et des mains et du cœur porte en ses fulgurances des tracées luminaires, l’art de tisser le dire poétique lui-même. Poésie de haute couture également, elle a de surcroît l’élégance d’arpenter les cicatrices mutiques de l’Histoire et du Temps, dans la conjugaison ailée du Temps-passé, du Temps présent et du Temps-qui-vient. Car en ses errements têtus « L’histoire a faussé les comptes »…

Et voici que le poème « L’histoire a faussé les comptes » entre en résonance avec « Bouche de clarté », le visionnaire poème de René Depestre : « Ma bouche folle de systèmes / folle d’aventures / place des balises / aux virages les plus dangereux ». « Ma bouche noire de détresse noire de culture noire de nuit fort noire boit son bol de clartés ». Lucioles caracolant à l’aune d’un parchemin parolier, les deux poèmes entrent en résonance, ils appartiennent à une commune mémoire, celle des hauts faits comme celle des blessures intaries du passé…

Chère Michèle, « L’histoire a faussé les comptes » est un magnifique poème, il nous interpelle dans la texture toute saint-audienne de son déploiement discursif. À la fois chant d’une parole intime, singulière, et lasso lancé à l’assaut du ciel et de l’Histoire, ton poème est aussi bien une invite qu’une quête. Il s’énonce et s’éploie telle une pressante invite à cartographier notre passé de peuple, post-1804, « jusqu’au sel de nos os / l’or de nos cicatrices / nos chants de liberté ». Défiant toute extinction de la mémoire-palimpseste, « L’histoire a faussé les comptes » porte grossesse d’une inépuisable quête de lumière, dans une impérative géographie mémorielle où les requêtes de la lampe sont un incessant combat contre la nuit où « nos morts dansent encore ». 

À la fois invite et quête, le poème de Michèle Voltaire Marcelin porte haut l’impérieuse nécessité de l’interpellation de l’Histoire. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle Histoire : la poète invite à convoquer une singulière « Histoire », celle qui a dé-parlé, celle qui a « faussé les comptes », celle qui a vêtu une violente rançon impériale de la borgne mantille de « La dette ». Mais, nous dit la poète, « La Dette n’est pas un chiffre / Elle est une honte / gravée / dans la chair du monde ».

Contre la déferlante du « faux en écriture » historique que trame le mot « dette », Michèle Voltaire Marcelin choisit une toute autre grammaire de déchiffrement de l’Histoire : « Le mot Restitution est un poème / Le mot Réparations, un serment / Le mot Justice un cri dans la blessure » et dans les cicatrices d’hier, au défilé du rictus du Temps-passé.  Par cette autre grammaire de déchiffrement de l’Histoire, la poète convoque un au-delà de « la blessure » : l’énoncer c’est, surtout, interpeller des cicatrices tramées et surnouées dans l’inconscient collectif haïtien depuis le 17 avril 1825… 

Et voici que le poème –en ses neuves coutures et à l’abordage du Temps-qui-vient, qui fait jonction avec l’Histoire–, revêt regard d’aube, s’éploie, se fait chevauchée épique et conquête d’un destin collectif revisité par la lumière : 

« De ce cri

monte un drapeau

De ce drapeau

s’élève la mémoire

Le jour viendra

où la dette changera de camp

la lumière changera de nom

le monde parlera enfin

au nom des vivants

Lheure des comptes viendra ».

Sur un autre registre de langue, Michèle Voltaire Marcelin consigne, à la suite du poème, un bref condensé de faits historiques –comme pour tenir à distance toute (im)posture révisionniste, toute falsification de l’Histoire, celle, notamment, qui se tient en embuscade dans moult manuels d’histoire… Celle qui confond à dessein et amalgame les termes « rançon » et « dette » : 

« Il était une fois un pays qui conquit sa liberté, mais dut la racheter aux mêmes mains qui l’avaient mis en chaînes. Ce pays s’appelait Haïti. L’autre, la France – celle qui se disait lumière– compta ses plantations perdues, les cendres de ses profits, et fit payer à Haïti son propre soleil : le prix de la liberté, en or. L’Histoire ouvrit ses registres – chaque page, un corps effacé, chaque somme, un silence où la douleur fut rayée par le profit. » (Michèle Voltaire Marcelin, novembre 2025)

Amitié fraternelle,

Robert Berrouët-Oriol

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