24 octobre 2025, An 219e de l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er
Pour que simplement nous batissons une grande nation au 21e siecle
“ Si j’étais un descendant d’esclave, né en Argentine, et que l’on me révélait l’histoire de la première République noire du monde, même déchue au XXIᵉ siècle, je donnerais tout pour être de cette nation”
Polarticle numero II, par Alexandre Telfort Fils
______________________________________________________________________________ Mesdames, Messieurs,
Il nous faut un but national clair et partagé, comme l’enseignait Anténor Firmin : le nôtre ne saurait s’enraciner là où la race noire ne trouve point de bonheur. « Prouver par notre exemple l’aptitude de toute la race noire à la civilisation », disait-il. Au XIXᵉ siècle déjà, au cœur de la dérive, il fallait trouver dans le noir cette lumière dont l’affaiblissement, fût-il passager, pouvait effrayer la nation entière. Sans cette clarté, tout semblait permis — jusqu’à l’occupation américaine, prédite par le génie de De l’égalité des races humaines, ce classique qui fonde la légitimité d’Haïti lorsqu’il s’agit de liberté, de dignité et d’autodétermination des peuples. Firmin voyait dans la politique impie et débilitante de son temps une force de désorientation de l’âme nationale, pervertissant l’héritage de Dessalines et menaçant l’avenir — descente aux enfers dont nous portons encore les stigmates.
Par souci pédagogique, disons-le nettement : l’âme nationale est la conscience vivante qu’un peuple a de lui-même — souvenirs partagés, valeurs, douleurs et espérances — transformée en volonté d’agir ensemble. Ce n’est pas mystique : c’est l’énergie morale qui fait tenir une nation dans l’adversité et oriente ses choix.
Sans but clair et âme orientée, avec un État défaillant, l’exode des talents et des vices d’organisation persistants, certains affirment : « Haïti n’est plus une nation. » Mais qu’est-ce qu’une nation, sinon une communauté politique de femmes et d’hommes qui se reconnaissent un héritage commun, se projettent vers un avenir partagé et acceptent de se lier par des
institutions et des règles pour vivre et agir ensemble ? Elle s’enracine dans des faits (langue, mémoire, territoire) autant que dans une volonté de vivre pour un bien commun. On distingue classiquement deux conceptions, souvent mêlées : la nation objective (ou culturelle), fondée sur des traits communs (langue, culture, histoire), et la nation civique (ou politique), fondée sur l’adhésion à des principes, des droits et un projet commun. Dans la réalité, la plupart des nations combinent ces deux logiques. Ce qui les fait tenir est connu : mémoire partagée, projet commun (sécurité, prospérité, justice), solidarité effective (impôt, service, secours), institutions légitimes (État de droit, procédures, symboles), langage(s) commun(s) et civisme.
Pour Firmin, retrouver un but consiste à réordonner l’ensemble des forces du pays — État, économie, école, mœurs civiques — autour d’un projet de nation mesurable, porté par un gouvernement responsable. Alors seulement Haïti peut « reprendre la voie » de sa destinée. La vérité ne se fabrique pas : l’épopée de 1804 l’a forgée. Mais, ayant voulu naviguer sans cap, aucun vent ne nous a été favorable ; nous avons perdu nos repères, et l’on tente même de nous ravir histoire et mémoire.
L’âme nationale est la mémoire devenue mission, et la mission, actions qui rassemblent. Sans elle, on subit l’histoire ; avec elle, on la fait. Dès sa naissance, Haïti est une lumière pour les amants de la liberté. D’où cette conviction : « Il ne peut y avoir de monde meilleur sans une meilleure Haïti » — non que le destin du monde dépende de nous, mais parce que le monde a besoin de notre succès, et que la crédibilité morale de la communauté internationale y est, en partie, engagée. Construire Haïti, c’est construire un monde plus juste. Ce n’est pas une vérité géopolitique, c’est une exigence morale : certaines nations portent, par leur destin, un jugement sur notre humanité commune. Haïti est de celles-là. Nul d’entre nous ne dépassera nos pères fondateurs ; le succès ou l’échec d’Haïti nous jugera tous. Et s’il faut le dire autrement : il est de l’intérêt supérieur d’Haïti — et de la race noire — que la première République noire soit une grande nation.
Nous en venons au cœur de cette réflexion : les intérêts supérieurs de la nation. Il ne s’agit pas seulement de réintroduire dans le débat un concept capital, fondement de la Renaissance d’Haïti au XXIᵉ siècle ; il s’agit d’exposer le noyau dur de finalités non négociables inséparables du but que nous nous donnons, et de dire, solennellement, ce qui ne peut pas ne pas être en ces temps de douleur : les intérêts autour desquels rassembler une nation divisée. À celui qui, en 2025, ne trouve plus de motivation à se dire membre à part entière de cette nation, qui désespère et ne voit plus, en son cœur, considération pour nos tribulations partagées, je dis humblement : osons créer une communauté de destin autour d’intérêts que nous honorerons, et dont la menace nous coupera le souffle.
La succession des crises a relégué l’idée d’intérêts supérieurs au rang de slogan. Or, dans toute nation moderne, ils désignent un ensemble de priorités non négociables — gouvernement stable, protection de la vie et des libertés, intégrité territoriale, continuité des institutions, sécurité publique, prospérité durable et dignité nationale — qui guident l’action au-delà des alternances et des contingences. Les redonner à la conscience, les hiérarchiser et les rendre opératoires est une urgence stratégique.
De quoi parlons-nous, très concrètement, pour Haïti ? Des objectifs collectifs qui assurent, sur le temps long :
1. la survie et la souveraineté de la République ;
2. la stabilité et la légitimité de l’ordre institutionnel ;
3. la sécurité des personnes et des biens ;
4. la création de richesses inclusives et résilientes ;
5. la préservation de l’environnement et du patrimoine ;
6. l’exercice effectif des droits et des devoirs civiques ;
7. l’influence internationale d’Haïti comme nation libre et responsable, première République noire du monde.
Ces intérêts priment sur les intérêts partisans, sectoriels ou personnels et imposent à l’État, comme aux citoyens, des obligations de résultat.
Aujourd’hui, nous paraissons une nation incapable de fixer et d’atteindre son but, d’autant plus que nous manquons d’État, d’élus et de classe politique. Mais la Renaissance d’Haïti est précisément la renaissance de ces intérêts trop longtemps effacés de la conscience collective. Je vous invite, au nom de l’Haïti éternelle, à vous engager — avec vos pairs — pour :
1. Souveraineté et indépendance. Défendre l’intégrité territoriale ; garder la main sur nos ressources, nos institutions et nos décisions stratégiques.
2. Patrimoine historique et culturel. Sauvegarder 1804, promouvoir la langue, les traditions et l’identité comme piliers de cohésion.
3. Sécurité et stabilité intérieures. Démanteler durablement l’insécurité et les gangs ; instaurer un État de droit respecté et respectueux.
4. Dignité de chaque citoyen. Garantir éducation, santé, alimentation et logement décents ; protéger les libertés.
5. Développement endogène et durable. Soutenir l’agriculture vers la souveraineté alimentaire ; encourager l’industrialisation, le tourisme et l’innovation pour créer des emplois. 6. Environnement et résilience. Stopper la déforestation, restaurer les sols, protéger la biodiversité ; prévenir et s’adapter aux catastrophes.
7. Unité et cohésion. Consolider la solidarité entre régions et classes ; rompre avec le cycle des conflits.
8. Institutions républicaines. Les rendre indépendantes, efficaces et transparentes ; promouvoir une gouvernance responsable et participative.
Le mouvement que nous nommons, par élan de dignité, Renaissance, refuse l’irresponsabilité et la honte. Il trouve, dans ces intérêts supérieurs, la boussole stratégique de toute action politique, économique et diplomatique, en Haïti comme à l’étranger, afin que les choix du
présent bâtissent un avenir de liberté, de prospérité et de fierté nationale. Ainsi ferons-nous émerger le Rêve haïtien : la promesse faite à chaque Haïtienne et à chaque Haïtien — au pays et dans la diaspora — de vivre en sécurité, travailler utilement, élever ses enfants dignement et transmettre une terre habitable, grâce à un État de droit exemplaire, une économie productive et une écologie protégée, pour que la liberté conquise devienne prospérité partagée. Bienvenue dans l’Haïti renaissante du XXIᵉ siècle.

