31 octobre 2025
Député Célestin. Haiti – La milice, la tutelle, les élections
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Député Célestin. Haiti – La milice, la tutelle, les élections

La milice, la tutelle, les élections

Au petit matin, lorsque le soleil surgit des mornes de Savane Désolée, un voile d’or sacre la vallée de l’Artibonite. La brume y danse comme une offrande à Papa Legba ; le fleuve serpente tel un souffle vengeur de la société secrète Vennvendeng de la chaîne des Cahos, tandis que les hérons garde-bœuf chantent l’éveil de la terre. Les rizières respirent le bain de bazilik, mêlé au parfum Florida de Mètrès Zili Freda. Les sillons murmurent la prière guerrière des Chanpwèl du morne Préval. Le vent porte la voix des paysans courageux, la terre répond par la promesse des moissons, et le travail devient rituel, la sueur encens. Verdoyante, la vallée garde dans ses entrailles la mémoire de Grann Aloumandja, qui toujours la protège. Kouzen Zaka y demeure encore, invisible et bienveillant, nettoyant sa pipe dans la lumière du matin.

Elle est irriguée par le barrage Canneau, situé entre Verrettes et Petite-Rivière-de-l’Artibonite. Construit dans les années 1950, sous la présidence de Paul Eugène Magloire, cet ouvrage régule le débit du fleuve et alimente les principaux canaux de la plaine. Selon la Banque interaméricaine de développement (BID, 2019) et le Programme de réhabilitation du système d’irrigation de la vallée de l’Artibonite du MARNDR (2021), plus de 28 000 hectares de terres sont aménagés pour la riziculture, dont environ 20 000 effectivement cultivés. Cet espace nourrissait autrefois le pays, faisait vivre les familles paysannes et symbolisait le progrès agricole autant que la souveraineté alimentaire d’Haïti.

L’histoire du pays est tissée de détournements tragiques : ce sanctuaire jadis fertile est devenu le théâtre d’une destruction programmée. La violence des gangs efface d’un trait les fruits de décennies d’efforts paysans. Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), dans son rapport d’octobre 2025, relate que, dans la nuit du 20 au 21 septembre 2025, la plaine de l’Artibonite — notamment Kapenyen, L’Estère, Chandèl et leurs environs — a été dévastée par le gang-milice Kokorat San Ras. Selon Haïti Libre et une analyse du Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 3 000 hectares de terres autrefois fertiles sont désormais stériles, et la surface cultivée a reculé de 2 400 hectares par rapport à l’année précédente. Cet épisode sinistre a mis les rizières en flammes, pillé les récoltes et réduit les villages à l’état de coquilles vides. Les paysans résistent, affrontent la terreur ; les autorités, elles, laissent la misère prospérer.

Le Conseil présidentiel de transition (CPT), brillante sélection nationale de truands professionnels, dignes héritiers des satrapes de la dépendance, excelle dans l’art de la courbette. Plutôt que de redresser la nation, ils s’appliquent à polir les bottes étrangères et à quémander des soldats d’importation pour sécuriser un pays qu’ils ont eux-mêmes livré au désordre. La sécurité est devenue un luxe de connivence, distribué au gré des fidélités politiques et des complicités financières. Gangs-milices et Police nationale d’Haïti (PNH), confondus dans leurs dérives, jouent les vigiles du chaos, transformant Haïti en laboratoire de l’assistanat permanent. Au cœur de cette mécanique, les flammes consument les récoltes que des mains rugueuses avaient irriguées, semées et moissonnées. La terre pleure, en silence, les offrandes que la trahison des élites a jetées au brasier de la cupidité.

Dans ce paysage de chaos et de trahison, l’absence d’une armée fonctionnelle ne fait qu’aggraver le vide sécuritaire. Démantelée en janvier 1995 par Jean-Bertrand Aristide, sous l’œil vigilant de la Maison-Blanche, l’armée haïtienne fut réduite au silence — gage d’une démocratie sous tutelle — et marqueur d’un affaiblissement délibéré du système national de sécurité. Un décret du 9 octobre 2015 tenta une résurrection administrative, suivie d’une réapparition publique les 17 et 18 novembre 2017 lors d’un défilé à valeur symbolique. L’ombre embryonnaire de l’armée haïtienne, tenue en laisse par Washington et manipulée par les gouvernants successifs, incarne à elle seule des décennies de dépendance et de paralysie institutionnelle.

La République en faillite n’exerce plus le monopole de la violence légitime : l’installation du chaos devient inévitable. Cette politique de soumission a enfanté une PNH vacillante, tiraillée entre allégeances politiques, pauvreté structurelle et infiltration mafieuse. Loin d’être le bouclier du peuple, elle se réduit à garder les portes du pouvoir plutôt que celles de la nation, muée en bâton d’un régime sans racines ni légitimité. Lors des récentes manifestations contre le CPT, devant la Villa d’Accueil à Port-au-Prince, la police a chargé des citoyens désarmés à coups de gaz lacrymogènes, causant plusieurs morts et de nombreux blessés. Tragique inversion : le criminel est roi, le peuple suspect. Cette dynamique privatise la sécurité, tout en nationalisant et internationalisant la répression. Quand l’État abdique sa force et que la nation se tait, la sécurité se marchande, la justice s’exile et la tutelle étrangère s’impose comme une évidence coloniale.

Les vols, enlèvements, viols, assassinats et postes de péage se multiplient, anéantissant toute mobilisation populaire et plongeant la population dans une peur rampante. Ce climat d’insécurité nourrit une violence sélective, orchestrée pour justifier de nouvelles interventions étrangères. Sous le drapeau des Nations unies, la Gang Suppression Force (GSF), armée et mandatée pour agir directement contre les gangs, incarne la permanence de la tutelle. Ces soldats importés, financés et administrés depuis l’étranger, ne sont que la béquille d’un État infirme, qui loue sa souveraineté pour acheter sa survie. Présentée comme planche de salut, la GSF n’est en réalité qu’un radeau de dépendance, dérivant sur les eaux troubles de la résignation nationale et de l’obéissance servile des élites-courtiers. Et déjà se profile, derrière le bruit des armes et les discours sur la « stabilisation », la prochaine fiction démocratique, où le peuple sera, une fois de plus, convié à voter sans jamais choisir.

La participation électorale s’effondre à mesure que la souveraineté nationale s’érode sous la tutelle étrangère et la mainmise des oligarchies locales. Le scrutin de 2006, qui porta René Préval à la présidence après les événements de 2004, avait enregistré un taux de participation avoisinant les 59 % — ultime sursaut d’espérance populaire. Cinq ans plus tard, en 2010–2011, l’Organisation des États américains (OEA) imposa sa volonté en désignant Michel Martelly lors d’une élection-sélection qui ne mobilisa que 22 à 23 % des inscrits. Cette chute constante traduisait une démoralisation civique profonde, dans un pays où les ingérences étrangères et la tutelle de la MINUSTAH avaient réduit le citoyen au rôle de spectateur impuissant. La présidentielle de 2015 n’attira qu’environ 28,9 % des électeurs au premier tour, tandis que le scrutin final de novembre 2016 n’enregistra qu’à peine 19 % de participation. Cette série chiffrée illustre un affaissement continu et confirme que les élections ne traduisent plus la volonté populaire.

À mesure que s’éteint la voix du peuple dans les urnes, s’efface aussi la capacité du pouvoir à protéger la vie. Ce vide engendre la vulnérabilité nationale : incapacité et corruption gangrènent les structures de protection civile, chaque tempête devient l’écho brutal d’un pays sans abri politique. Selon les derniers rapports, l’ouragan Melissa a causé au moins 45 morts, une vingtaine de disparus et la destruction ou l’inondation de centaines de maisons, notamment à Petit-Goâve. En parallèle, des centaines d’hectares cultivables ont été perdus, laissant plus de 1,4 million de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë.

Sans vergogne, les gangs paradent, dévastent villes et campagnes, tandis que les dirigeants mendient, négocient, s’inclinent devant leurs maîtres nationaux et internationaux, incapables de défendre le pays. Pourtant, le souvenir de Vertières flotte dans l’air, résonne comme un tambour appelant à la reconquête de l’intelligence collective, du courage politique, de la dignité et de la souveraineté. Le pays renaîtra par ses enfants qui, aujourd’hui encore, sèment la révolte, irriguent la mémoire et cultivent la liberté comme on laboure la terre pour la moisson à venir.

Grand-Pré, Quartier-Morin, 28 octobre 2025
Hugue CÉLESTIN
Membre de :

  • Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren (FEMODEK)
  • Efò ak Solidarite pou Konstriksyon Altènativ Nasyonal Popilè (ESKANP)

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