Par Patrick Prézeau Stephenson
PORT-AU-PRINCE — La tempête avait un nom; les pertes n’en ont pas. Lorsque l’ouragan Melissa a traversé la péninsule sud d’Haïti cette semaine, les rivières sont montées dans les maisons, des ponts ont cédé et des routes déjà fragiles se sont rompues. Vendredi, les autorités locales faisaient état de plus de 23 décès, dont plus de 20 à Petit-Goâve à elle seule, tandis que des familles continuaient à chercher des disparus dans des communes rurales où l’eau est tombée le plus violemment et où l’aide arrive le plus lentement.
Dans un communiqué en créole d’une sobriété implacable, un collectif citoyen du Sud, Evèy Gran Sid, a dressé l’inventaire non seulement des dégâts — récoltes anéanties, bétail noyé, salles de classe et cliniques effondrées, routes commerciales coupées — mais aussi des défaillances qui les ont aggravés : rivières non draguées, zones inondables non protégées, absence d’évacuations préventives, alertes officielles tardives ou inexistantes. « Nous vivons dans la calamité depuis que la route nationale no 2 est coupée au niveau de Mariani–Gressier », écrit le groupe. « Maintenant, Melissa a mis le Grand Sud en miettes. »
Leur relevé ressemble à une carte des dommages évitables. La route de l’Amitié, l’axe de montagne qui relie Jacmel au reste du Sud, a été éventrée, isolant des villes des approvisionnements qui arrivent d’ordinaire par camion depuis le petit port de Marigot. La rivière Ladigue, depuis longtemps engorgée sous un pont ensablé près de Petit-Goâve, a débordé après des années de demandes citoyennes de désensablement restées sans suite. Dans plusieurs communes, la protection civile a défailli faute de maires en fonction — certains bureaux étant vacants, d’autres édiles résidant à l’étranger. Des écoles rouvertes timidement ces dernières semaines nécessitent déjà des réparations avant la prochaine sonnerie.
Le document est pourtant plus qu’une lamentation. C’est une liste d’actions — et un réquisitoire — dans la langue simple de ceux qui ne peuvent pas attendre la prochaine transition politique à Port-au-Prince. Evèy Gran Sid réclame des opérations de recherche immédiates et des funérailles dignes; un soutien psychosocial aux familles endeuillées; une aide financière et technique rapide aux agriculteurs et éleveurs pour relancer les semis et reconstituer les cheptels; des appuis en liquidités pour les petits commerçants dont les stocks ont été emportés; et un mécanisme d’indemnisation des pertes — des panneaux solaires aux motocyclettes en passant par les maisons ensevelies sous la boue. Le collectif plaide pour un plan de reconstruction et de résilience à moyen terme : aménagement et curage des rivières, protection des bassins versants, renforcement des ouvrages publics dans les villes exposées aux inondations, et réparations accélérées des écoles endommagées.
Rien de tout cela ne fonctionnera, soutient le collectif, sans transparence ni partenariat opérationnel entre l’État central, les collectivités et les organisations communautaires afin que l’aide parvienne jusque dans les communes les plus isolées. À cette fin, il recommande des évaluations rapides des pertes agricoles par commune et par filière; des comités de crise locaux avec participation des communautés pour coordonner le relèvement et fixer les priorités; l’ouverture de canaux d’information (radios, radios communautaires, réseaux sociaux) à destination du public; et la réouverture en urgence de la route nationale no 2 pour permettre la circulation des secours.
« Nou se wozo, nou pap kase — nous sommes des roseaux, nous ne casserons pas », dit le communiqué en citant un proverbe haïtien. « Mais seuls de bons choix peuvent protéger le roseau. »
Le Collectif du Manifeste Appel du Lambi — mouvement civique qui plaide pour l’intégrité, l’action publique mesurable et des solutions dirigées par des Haïtiens — a exprimé vendredi sa solidarité avec les victimes et avec les organisations citoyennes sur le terrain qui assurent les premières tâches du relèvement. Le Collectif a indiqué soutenir fermement les priorités immédiates d’Evèy Gran Sid et a souligné trois principes qui devraient, selon lui, guider la réponse.
Premièrement, protéger la vie, vite et équitablement. Cela signifie mettre sur le même plan les opérations de recherche‑sauvetage et les services essentiels : sécurisation des grands corridors, eau et assainissement temporaires dans les points de regroupement, cliniques mobiles, fonds d’urgence pour les plus vulnérables — notamment les enfants et les nourrissons, qui représentent une part douloureuse des morts et des déplacés.
Deuxièmement, financer le relèvement comme un devoir de reddition de comptes, non comme une charité. Le Collectif invite l’État et ses partenaires à publier un tableau de bord hebdomadaire simple pour le Grand Sud : heures d’accessibilité par corridor, nombre de ménages servis en eau et nourriture, hectares replantés, petits commerçants indemnisés, écoles rouvertes, et rapports d’incident en clair. « L’argent doit suivre ce que les communautés peuvent vérifier », a déclaré un porte‑parole par écrit. « Ouvrez les comptes. Laissez les comités locaux fixer et auditer les priorités. »
Troisièmement, bâtir la résilience là où l’eau reviendra. Les groupes s’accordent sur les moyens : dragage et protections de berges avant les prochaines pluies; travaux communautaires légaux et supervisés pour les murs en gabions et le curage des dalots; reboisement des bassins les plus érodés; et renforcement des cliniques, écoles et ponts les plus exposés. Ces mesures, insiste le Collectif, créent des emplois maintenant et sauvent des vies plus tard.
La critique du gouvernement est directe. Evèy Gran Sid reproche des années de centralisation qui ont canalisé les ressources vers la capitale et laissé le reste du pays à lui‑même, ainsi qu’un abandon des obligations de prévention. Le Collectif partage ce diagnostic et propose un chemin pratique : habiliter les administrations municipales qui fonctionnent, pourvoir les postes vacants qui paralysent la protection civile, et laisser des comités locaux crédibles — agriculteurs, enseignants, transporteurs, responsables religieux — co‑concevoir des solutions qu’ils entretiendront.
Les réseaux de la diaspora, souligne le Collectif, devraient canaliser leur soutien via des structures locales transparentes et dotées d’une supervision indépendante. Pour les agriculteurs et éleveurs, cela signifie des kits de semences et d’outillage, du petit crédit pour replanter et reconstituer les troupeaux, et la réparation des routes de desserte pour que les produits atteignent les marchés. Pour les familles urbaines, cela veut dire indemniser rapidement les pertes de stocks et sécuriser les itinéraires vers les écoles et les cliniques. Pour tous, cela implique des règles claires pour empêcher la capture politique de l’aide.
Vendredi après‑midi, des camions attendaient encore devant des barrages aux abords de la péninsule, où des fermetures antérieures à Melissa risquent de transformer la pénurie en faim. Dans les collines au‑dessus de Jacmel, des familles se tenaient devant des maisons déformées par le ruissellement, pesant le coût de rester et l’impossibilité de partir. Le long de la Ladigue, des hommes montraient le sable empilé sous le pont — un témoignage visible de promesses différées.
Les tempêtes ne sont pas nouvelles en Haïti; ce qui l’est, disent des habitants, c’est la minceur de la marge qui reste. « Nous sommes des roseaux », assure le proverbe, résilients et ployants sous le vent. Les habitants du Grand Sud en administrent une nouvelle preuve cette semaine — en s’organisant, en comptant les pertes, en fixant des priorités. Savoir si cette résilience sera enfin soutenue par une réponse à la hauteur pourrait décider combien de roseaux resteront pour ployer quand viendra la prochaine pluie.
Références Vanginé, Wooslène, Ramilus Bolivar, Germain Desroches, Azor Wadson, Burel Labossière, Woodley Joanis, Jean François Tardieu, Evel Fanfan, Jusner Petit Frère, Joseph Toussaint, Bazile Dieuveuil, Rudolf Dérose, Erl Jean Pierre, Yves Wadna Compère, Moril Jeudy, and Michelet Jérôme. “Kominike pou laprès: Bilan ak apèl pou solidarite ak Gran Sid la, siklòn Melisa frape.” Press release, Evèy Gran Sid, Paillant, Haiti, October 31, 2025.
*Patrick Prézeau Stephenson is a Haitian scientist, policy analyst, financial advisor and author specializing in Caribbean security and development.
Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com
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Kilès nouye : Manifeste L’Appel du Lambi – Unité et Action pour Haïti
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