8 octobre 2025
Le CPT vers une tertia modificatio de l’accord du 3 avril : quis dedit eis potestatem ?
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Le CPT vers une tertia modificatio de l’accord du 3 avril : quis dedit eis potestatem ?

Quoi que disent ou fassent les membres du CPT, ils ne peuvent, même s’ils sont cyniques, aller de l’avant sans réviser l’accord du 3 avril après que deux modifications y ont été apportées. Quel parti politique leur donnera cette absolution ? Alors, le 31 janvier 2026, le prochain rapport de Transparency International indiquera clairement, sans aucun doute, que le pays est confronté à un pouvoir totalement opaque, et que les mots « élections honnêtes, libres et démocratiques » ne seront qu’un leurre…

L’histoire du Conseil présidentiel de transition (CPT) constitue, à bien des égards, une leçon de realpolitik à la haïtienne. Né de l’accord politique ti zanmi-koken apatrid du 3 avril 2024, sous médiation – par procuration – de la CARICOM, ce Conseil devait exercer une fonction ad interim, limitée dans le temps, et dont la mission cardinale était de conduire la République aux élections générales prévues avant le 7 février 2026. Ledit accord, tel qu’adopté in extenso, consacrait un principe collégial de direction sans présidence individuelle, conformément à une logique de gouvernance partagée — une sorte de consilium mixtum où chaque membre participait à la délibération commune. Or, la suite des événements démontra que la tentation du pouvoir personnel triomphe toujours des chartes transitoires, sauf en 1990.

Prima modificatio.
Le 7 mai 2024, le CPT adopta, par résolution interne, une innovation non prévue in initio : la présidence tournante. Sous le prétexte d’assurer la stabilité décisionnelle, cette modification — la première du genre — transforma un organe collégial en un système successoral à quatre têtes. Le mandat de la présidence fut réparti entre Edgard Leblanc Fils, Smith Augustin, Leslie Voltaire, et Louis Gérald Gilles, chacun appelé à exercer pour une durée quinquennale mensuelle. Cette mutatio praeter legem introduisit un déséquilibre fondamental entre l’esprit et la lettre de l’accord initial, en substituant à la direction collective une hiérarchie tournante. L’acte de révision, non ratifié par décret présidentiel ni publié au Moniteur, violait déjà l’article 4 de l’accord de 2024, lequel prohibait toute modification sans consensus intégral des signataires.

Secunda modificatio.
L’affaire sordide de la Banque Nationale de Crédit (BNC), révélée en octobre 2024 par l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), entraîna l’éviction de trois membres « braqueurs » — Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Vertilaire — cités dans des actes de malversations financières. À la faveur de cette crise morale, le CPT adopta une seconde résolution modifiant l’ordre de la rotation : Leslie Voltaire succédant à Leblanc, suivi de Fritz Alphonse Jean, avant de confier la magistrature tournante à Laurent Saint-Cyr le 7 août 2025 dernier. Ce réaménagement interne sans scrupule, motivé par la causa scandali, équivalait à une nouvelle interprétation de l’accord du 3 avril — une secunda modificatio sine auctoritate, c’est-à-dire sans base juridique formelle. Le principe de collégialité cédait une fois de plus à la logique du dominium temporarium.

Tertia expectata.
L’entrée en fonction de M. Saint-Cyr inaugura une phase de transition paradoxale : un président tournant sans mandat électoral, investi par un texte sans valeur normative. Entre les déplacements diplomatiques à New York, Miami, Tokyo et Osaka, le nouveau titulaire incarne davantage la continuité du vide institutionnel que celle de l’État. Le jus transitorium, censé durer vingt-deux mois, s’est transformé en régime d’exception sans contrôle. Or, les bruits de couloir laissent entendre qu’une troisième modificationtertia modificatio — serait envisagée pour proroger la durée du CPT au-delà du 7 février 2026, sous prétexte de préparer des élections « techniquement fiables ». L’argument est fallacieux : il consacre la pérennisation d’un pouvoir conçu pour s’effacer.

L’ingénieur Alex Saint-Gardien, un consultant du registre électoral, a pourtant révélé l’existence de plus de 800 000 votes doublons dans la base de données du Conseil électoral. Ces chiffres démontrent que le scrutin annoncé serait, ipso facto, vicié. Or, plutôt que de réviser la structure électorale, certains conseillers du CPT songeraient à s’octroyer un délai supplémentaire, invoquant la necessitas rei publicae. Cette justification, bien connue du droit constitutionnel d’exception, sert souvent à légitimer l’illégitime. Elle permet de contourner la date butoir du 7 février, inscrite dans la mémoire républicaine comme dies fatalis, terme du pouvoir et symbole du retour au droit.

Ainsi, de la signature initiale de l’accord du 3 avril 2024 à l’hypothèse d’une tertia modificatio, le CPT illustre la dérive d’un pouvoir intérimaire devenu autoréférentiel. Sa légitimité ne découle plus du peuple, ex populo, mais d’un équilibre artificiel entre factions. En multipliant les résolutions internes sans publication officielle, le Conseil s’érige en instance quasi souveraine, opérant contra legem et extra constitutionem. Reste alors la question fondamentale, que ni la CARICOM ni les chancelleries ne semblent vouloir poser : quis dedit eis potestatem ?qui leur a donné ce pouvoir ?

cba

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