Cet année 2025 marque le 360e anniversaire de la fondation de la ville de Port-de-Paix. Sans l’article publié dans Clin d’Œil sur le Nord-Ouest d’Haïti, cette date serait probablement passée sous silence. Même les autorités semblent l’avoir complètement oubliée : aucun signe ne laisse entrevoir une quelconque prise de conscience ou une volonté de commémoration. Ce silence officiel soulève des questions sur la valorisation de notre patrimoine historique.
Cette phrase résume tristement la réalité : Port-de-Paix, fondée en 1665, célèbre en silence ses 360 ans. Une ville au passé glorieux, au rôle fondateur dans l’histoire d’Haïti, mais aujourd’hui reléguée à l’arrière-plan de la mémoire nationale. Pas de festivités officielles, pas de discours, pas de reconnaissance. Ce silence interroge.
Port-de-Paix fut l’un des premiers bastions de la colonisation française en Haïti. Elle a été capitale de la colonie de Saint-Domingue, berceau du cacao haïtien, et lieu de naissance de figures historiques comme Capois La Mort. Elle a résisté à l’occupation américaine dès 1915 et a toujours été un centre de rayonnement culturel et politique.
Aujourd’hui, la ville compte environ 121 000 habitants, ce qui en fait la onzième plus grande agglomération du pays. Elle est le chef-lieu du département du Nord-Ouest, une région souvent marginalisée dans les politiques publiques nationales. Le taux de chômage national est estimé à 15,1 %, mais dans les zones comme le Nord-Ouest, ce chiffre grimpe bien au-delà, en raison du manque d’infrastructures, de l’exode rural et de la faiblesse du secteur privé. Le secteur informel domine l’économie locale, et une majorité de jeunes n’ont ni emploi stable ni contrat formel. Environ 37 % de la population en âge de travailler est active, mais près de 27 % de cette population est officiellement au chômage. Le secteur agricole, bien qu’encore dominant, est en déclin, et les jeunes de 20 à 29 ans sont les plus touchés, avec des taux de chômage dépassant parfois 36 %.
Ce qui frappe encore plus que le silence des autorités, c’est l’absence quasi totale de couverture médiatique autour des 360 ans de Port-de-Paix. Aucun grand média national n’a consacré un reportage, une émission spéciale ou même une publication sur les réseaux sociaux pour marquer cette date historique. Dans un pays où les anniversaires de villes comme Port-au-Prince ou Cap-Haïtien sont largement relayés, cette indifférence médiatique envers Port-de-Paix révèle une forme de déséquilibre narratif : certaines régions semblent exclues du récit national. Ce vide informationnel contribue à l’effacement progressif de la mémoire collective et prive les jeunes générations d’un lien essentiel avec leur patrimoine.
Le silence ne vient pas seulement des autorités et des médias : le monde universitaire haïtien semble lui aussi avoir ignoré cette date historique. Aucun colloque, aucune conférence, aucun article académique n’a été publié pour explorer ou célébrer les 360 ans de Port-de-Paix. Les facultés d’histoire, de sociologie ou d’anthropologie des principales universités du pays n’ont proposé aucune initiative publique pour mettre en lumière le rôle fondateur de cette ville dans le récit national. Ce manque d’engagement intellectuel est d’autant plus préoccupant qu’il prive la société d’une réflexion critique sur son passé, et empêche la transmission de savoirs essentiels aux nouvelles générations. L’université, censée être un pilier de la mémoire et de la recherche, semble ici avoir manqué une occasion précieuse de reconnecter le pays à l’une de ses racines les plus anciennes.
À moins de deux mois du 8 décembre, date traditionnelle de la fête de l’Immaculée Conception célébrée chaque année à Port-de-Paix, aucun signe ne laisse croire qu’une préparation sérieuse est en cours, ni pour cette fête religieuse, ni pour le 360ème anniversaire de la ville. Or, même la fête de l’Immaculée, qui mobilise chaque année des milliers de fidèles et nécessite une coordination logistique, sécuritaire et culturelle, demande des semaines de planification. Imaginer qu’on pourrait, dans ce même laps de temps, organiser une commémoration historique d’envergure pour les 360 ans de Valparaíso relève presque de l’utopie. Ce manque d’anticipation témoigne d’un profond désintérêt institutionnel pour la mémoire locale et pour les événements qui pourraient pourtant renforcer l’identité et la cohésion de la communauté.
En 2025, alors que la ville atteint un âge symbolique, aucune initiative gouvernementale majeure ne vient souligner cette étape. Même les autorités locales semblent dépassées ou désintéressées. Un projet de rond-point historique a été lancé, certes, mais sans lien direct avec l’anniversaire. Ce manque de reconnaissance est d’autant plus frappant que d’autres villes haïtiennes ont récemment bénéficié de célébrations officielles.
Ce silence autour de Port-de-Paix reflète un centralisme chronique dans la gestion du patrimoine haïtien. Les villes de province, pourtant riches en histoire, sont souvent négligées au profit de la capitale. Ce déséquilibre empêche une valorisation équitable de l’identité nationale.
Malgré l’oubli institutionnel, la mémoire de Port-de-Paix survit grâce à ses habitants, ses artistes, ses enseignants, ses filles et fiks qui excellent un peu partout dans le monde Des événements communautaires, des initiatives locales, des voix comme celle de Radio Generation 80 continuent de porter l’histoire de la ville.
Les 360 ans de Port-de-Paix auraient pu être une fête nationale de la mémoire. Ce silence est une occasion manquée. Mais il n’est pas trop tard. Il revient à nous tous citoyens, médias, éducateurs de raviver la flamme de l’histoire et de redonner à Port-de-Paix la place qu’elle mérite dans le récit haïtien.