6 octobre 2025
Entretien avec Pierre Robert Auguste : La responsabilisation nationale, clé du changement global concerté
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Entretien avec Pierre Robert Auguste : La responsabilisation nationale, clé du changement global concerté

ENTRETIEN AVEC PIERRE ROBERT AUGUSTE (PRA)
Un appel à la responsabilisation nationale pour un changement global concerté

Dans cet entretien accordé à Rezo Nòdwès, Pierre Robert Auguste (PRA) revient sur sa position face à la crise haïtienne et aux ingérences internationales. L’ancien diplomate plaide pour une coopération respectueuse de la souveraineté nationale et pour une révolution intellectuelle et technologique portée par les Haïtiens eux-mêmes.

Q. – Votre dernière position relayée par Rezo Nòdwès est interprétée par plus d’un comme un signe d’hostilité envers la communauté internationale. Est-ce bien votre état d’esprit ?
PRA. – Pas du tout. Je suis un cosmopolite, mais un cosmopolite autonomiste : je ne conçois pas l’amitié internationale sans le respect de la dignité nationale des peuples et du devoir de responsabilité qui leur incombe.
Dans le cas complexe de la crise haïtienne, on ressent douloureusement que les acteurs internationaux qui interviennent ou veulent intervenir en Haïti oublient qu’il s’agit d’un État à part entière — membre de l’ONU, de l’OEA, de la CARICOM et de la Francophonie. Or, aucun de ces ensembles ne manifeste une solidarité sincère envers la première République noire, celle qui a universalisé les droits humains dès 1804.
Les règles des chartes internationales ne tolèrent ni exception ni discrimination. Pourtant, Haïti n’est toujours pas traitée comme un État normal. Ces institutions abusent de la pusillanimité et de la servilité de certains dirigeants haïtiens, notamment ceux du CPT, leur propre création perverse. Les principes mêmes du droit international sont travestis. Le dernier exemple vient de l’OEA, qui a trahi son principe d’autodétermination en cherchant à instaurer en Haïti une dyarchie : un pouvoir international donneur d’ordres et un gouvernement national réduit au rôle d’exécutant. C’est un cas flagrant d’illicéité.

Q. – La mauvaise gouvernance, la désinvolture des dirigeants et l’inaction des élites ne sont-elles pas, elles aussi, responsables de ce qui ressemble à une nouvelle occupation ?
PRA. – Nous avons trop longtemps cultivé la dépendance. Elle est devenue un mode de vie, voire une forme de capitalisation économique. L’aide internationale est perçue comme une distinction, un label existentiel, recherché parfois avec avidité. Cela vide la coopération internationale de tout sens véritable.
Aujourd’hui, les Haïtiens doivent appliquer leur intelligence à la coopération, non à l’accoutumance à l’assistance.

Q. – Pouvez-vous préciser ?
PRA. – La coopération internationale exige un haut sens des responsabilités, une compétence éprouvée, une intégrité sans faille et une courtoisie ferme qui ne se confond pas avec l’arrogance.
La crise actuelle, dont l’issue demeure incertaine, appelle à la responsabilisation de tous : intellectuels, universités, représentants de la diaspora, organisations confessionnelles, entrepreneurs, paysans, professionnels, médias et partis politiques. Tous doivent converger vers un intérêt national commun : un changement global, voulu et concerté.
Aucune décision ne doit venir de l’extérieur sans l’aval d’une concertation nationale. Ce changement implique :

  • un régime politique réellement démocratique, opposé à toute autocratie ;
  • un système économique humanisé, remplaçant celui de l’oppression ;
  • des relations sociales fondées sur la fraternité et l’unité.
    En somme, la révolution haïtienne du XXIᵉ siècle doit être une révolution inversée.

Q. – Qu’entendez-vous par « révolution inversée » ?
PRA. – Elle ne suivra pas le parcours traditionnel — de l’agriculture vers l’industrie — mais s’appuiera sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication, sur l’intelligence artificielle.
Il faut repenser et démocratiser l’éducation, les connaissances et le savoir. L’État aurait dû depuis longtemps associer le CONATEL, la DIGICEL, la NATCOM et des centres spécialisés pour créer un Institut national des hautes technologies à Sabourin, avec un centre autonome dans chaque département.

Q. – Les oligarques ne tenteront-ils pas de bloquer cette révolution ?
PRA. – Leur temps est révolu, tout comme celui d’un capitalisme paresseux et rentier. Ils n’ont pas pris au sérieux l’appel américain à une nouvelle classe économique plus responsable. Ils se croyaient intouchables, protégés par leur pouvoir financier. Mais l’argent sans fondement moral est aussi fragile que la pauvreté.
Haïti connaîtra sa véritable transition, celle qui reléguera dans la poubelle de l’histoire les oligarques, les politiciens véreux et les maîtres du désordre social.
Nous, les gardiens du pays, devons veiller à ce que ce ne soit pas l’Haïti des autres.
Devant la communauté internationale, il faut défendre un intérêt national immédiat :

  • le départ inconditionnel du CPT ;
  • le refus d’élections improvisées ;
  • la reconnaissance que la répression seule ne vaincra ni l’insécurité ni la gangstérisation sans un plan autocentré de bien-être général.
    La faute de l’internationale est de croire qu’elle peut tout diriger en Haïti sans coresponsabilité nationale.
    La coopération, enfin, doit être une pairie, non une écurie de valets.

Propos recueillis par la rédaction de Rezo Nòdwès

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