24 septembre 2025
La crise artificielle d’Haïti et le mirage des « solutions » étrangères
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La crise artificielle d’Haïti et le mirage des « solutions » étrangères

Les soldats étrangers et les plans élaborés dans des capitales étrangères ne peuvent pas apporter dignité, stabilité ou démocratie en Haïti.

Suite à une initiative de paix de Viv Ansanm, des groupes armés de plusieurs quartiers de la capitale ont offert aux familles déplacées un bref soulagement après des mois de violence. Depuis le 24 août, beaucoup sont retournés dans leurs maisons en ruines : portes arrachées, biens pillés, structures entières incendiées. Pourtant, malgré la dévastation, quitter les camps signifiait retrouver une certaine dignité dans des lieux marqués par la surpopulation, la corruption et les abus sexuels. La population tente de reconstruire dans l’incertitude, tandis que le gouvernement, les oligarques et leurs alliés internationaux continuent d’insister sur le fait que l’intervention étrangère est la seule voie à suivre. Cependant, compte tenu des faits sur le terrain, les soldats étrangers et les plans élaborés dans des capitales étrangères ne peuvent pas apporter dignité, stabilité ou démocratie en Haïti.

La fragilité du retour de la population des quartiers Solino, Nazon, Delmas 24 et 30 ne peut être comprise sans prendre en compte l’ampleur des atrocités que les gangs ont infligées à la population. Ces dernières années, les gangs ont commis des massacres, des enlèvements, des violences sexuelles et des déplacements forcés. Plus de 5 600 personnes ont été tuées en 2024 et des quartiers entiers, comme Cité Soleil, ont été marqués par des massacres. Les camps regorgent de personnes déplacées, des enfants sont recrutés et de vastes zones restent sous le contrôle des gangs, tandis que l’impunité règne. Ces atrocités expliquent pourquoi de nombreux Haïtiens rejettent le dialogue avec les groupes armés. Pourtant, la crise exige de trouver les solutions les plus pragmatiques, quoique profondément difficiles, dans un contexte de méfiance légitime de la population envers les gangs et ceux qui les soutiennent. C’est dans ce climat de peur et de défiance que le gouvernement et ses partenaires internationaux présentent aujourd’hui leur dernière « solution ».

Le 9 septembre, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a salué un projet de résolution visant à transformer la Mission multinationale de soutien à la sécurité en Force de répression des gangs. Il l’a présenté comme une étape décisive vers le rétablissement de l’autorité et la préparation des élections. Mais ce discours est familier. Chaque solution « menée par les Haïtiens » promue par le gouvernement et ses supporteurs internationaux a en réalité été scénarisée dans les capitales étrangères. Pour de nombreux Haïtiens, ces propositions sonnent creux car ils savent à qui cela profite réellement : les fonctionnaires corrompus et les oligarques soustraits à toute responsabilité, et les acteurs étrangers qui perpétuent la dépendance.

La voie à suivre pour Haïti ne peut être dictée par ceux qui ont contribué à son effondrement, qu’il s’agisse des gangs, du gouvernement actuel ou de leurs commanditaires étrangers. Chacun a profité du chaos, tandis que la population en a payé le prix en sang, en déplacements et en vies brisées. Une paix véritable exige de rompre ce cycle, de reconquérir la souveraineté et de construire des structures responsables envers les Haïtiens eux-mêmes. Toute autre solution ne ferait que recycler les mêmes formules qui ont longtemps entretenu la corruption, la dépendance et le désespoir.

Depuis la création des premières missions de l’ONU en 1993, la souveraineté d’Haïti n’a cessé de s’éroder. Les décisions régaliennes sont rarement prises sans l’approbation étrangère. Le BINUH, le bureau politique de l’ONU créé en 2019, promettait stabilité, sécurité, bonne gouvernance et élections. S’ensuivit une déstabilisation systématique, une gouvernance plus faible qu’avant, près de dix ans sans élections et un système judiciaire démantelé, une fédération des gangs au sein du G9 et une Police nationale Haïtienne de plus en plus inefficace. Alors que les forces de sécurité haïtiennes vacillaient sous la direction de fonctionnaires corrompus soutenus par des oligarques et des alliés étrangers, la réponse internationale a suivi un schéma familier : plutôt que de soutenir les réformes locales, les puissances étrangères font pression pour un autre déploiement de troupes étrangères.

Cette trajectoire n’est pas fortuite. Elle résulte d’un système façonné par la complicité tacite des dirigeants haïtiens, des oligarques et de leurs protecteurs étrangers, qui ont ensemble orchestré la crise même dont ils prétendent aujourd’hui que seules des forces extérieures peuvent la résoudre. Plutôt que d’être de véritables solutions, ces interventions sont des mirages qui renforcent la dépendance, sapent l’autodétermination haïtienne et enfouissent le pays dans un état de crise perpétuelle.

Une fenêtre d’opportunité s’ouvre et le retour des habitants dans leurs quartiers peut constituer la première étape vers la reconquête des territoires perdus. La paix en Haïti doit commencer par garantir la sécurité de ceux qui sont retournés dans leurs communautés et empêcher les gangs de reprendre le contrôle de ces quartiers – une étape urgente vers une stabilité durable. Le gouvernement devrait apporter un soutien réel en sécurisant les quartiers, en reconstruisant les infrastructures essentielles et en luttant contre toute résurgence de la violence, plutôt que de laisser les familles affronter seules les ruines.

En outre, il est crucial que le dialogue ne soit pas utilisé uniquement comme un outil de manipulation, où les oligarques et les autorités concluent des accords avec des gangs pour protéger des intérêts mesquins et la sécurité des ambassades. Le dialogue doit être utilisé comme un mécanisme pour empêcher le retour des gangs, pour stabiliser les communautés et pour protéger les citoyens ordinaires. De véritables négociations, soutenues par une force armée haïtienne disciplinée et dirigées par un leadership non corrompu, patriotique et résilient, pourraient briser le cycle de la violence et placer la paix au centre, fondée sur les droits et la dignité des Haïtiens ordinaires.

Le peuple haïtien mérite mieux que des formules recyclées, élaborées à l’étranger, qui ne font que renforcer le pouvoir des mêmes acteurs corrompus. Il mérite une chance de reconquérir sa souveraineté, de démanteler la collusion entre les politiciens, certains acteurs du secteur privé et les gangs, et de bâtir un système responsable devant le peuple, et non devant les ambassades ou les bureaucrates internationaux. Les soldats étrangers et les plans élaborés dans des capitales étrangères ne peuvent apporter ni dignité, ni stabilité, ni démocratie en Haïti.

Roudy Bernadin, MPA

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