La bourgeoisie est une classe sociale qui se distingue par sa possession de capitaux, de moyens de production ou de ressources économiques, et par son influence sur les affaires politiques, sociales et culturelles d’un pays. Historiquement, elle s’est développée à partir du Moyen Âge en Europe, lorsque des marchands et artisans prospères ont commencé à s’affirmer face à la noblesse féodale. Dans le monde moderne, la bourgeoisie représente l’élite économique capable de générer des investissements, de créer des entreprises et d’influencer les décisions politiques.
Son rôle social est multiple : elle contribue à la diffusion de normes et de valeurs, influence les décisions politiques et peut favoriser la cohésion sociale par ses initiatives dans l’éducation, la culture et les infrastructures. Son rôle économique est également central : elle crée de la richesse, investit dans l’innovation, génère de l’emploi et influence la répartition des ressources dans la société. Une bourgeoisie responsable peut donc être un moteur de développement et de prospérité.
La bourgeoisie haïtienne, longtemps perçue comme la classe la plus prestigieuse du pays, se trouve aujourd’hui fragilisée et discréditée, notamment à cause des sanctions et arrestations opérées par les États-Unis. Alors que, dans de nombreux pays, la bourgeoisie incarne l’élite économique et sociale, en Haïti, une partie de cette classe s’est comportée non pas en moteur de développement, mais en groupe prédateur. Violence, corruption, trafic d’influence et absence de réinvestissement dans le pays ont contribué à sa perte de légitimité.
Selon la théorie marxiste de la lutte des classes, la bourgeoisie détient le pouvoir économique et contrôle les moyens de production. Cependant, dans le contexte haïtien, cette bourgeoisie ne s’est pas investie dans le développement productif, mais dans l’accumulation de richesse par des pratiques extractives et spéculatives. Par exemple, certains entrepreneurs haïtiens ont concentré leurs activités dans l’importation de biens de consommation, sans créer d’industries locales ou d’emplois durables. Cela illustre un échec à remplir le rôle de moteur économique attendu d’une élite.
La théorie de la reproduction sociale de Pierre Bourdieu éclaire également cette situation : la bourgeoisie haïtienne a tenté de maintenir son capital économique et culturel sans réellement construire un capital social bénéfique pour le pays. Les grandes familles bourgeoises ont privilégié leur enrichment individuel, souvent en lien avec la classe politique, contribuant ainsi à la perpétuation des inégalités et à l’érosion de leur légitimité morale et sociale.
À l’échelle internationale, le terme « bourgeoisie » évoque prestige et influence, mais en Haïti, il est devenu synonyme d’abus et d’intimidation. Les sanctions et accusations de terrorisme visant certains de ses membres traduisent ce discrédit profond : des personnalités autrefois perçues comme des modèles se retrouvent désormais assimilées à des criminels.
À quoi bon accumuler des millions si c’est pour finir sa vie derrière les barreaux ? Cette situation révèle que la puissance de la bourgeoisie haïtienne n’était qu’un mirage. Elle expose aussi la nécessité d’une refondation : l’État doit ouvrir les barrières sociales et économiques pour favoriser l’émergence d’une nouvelle classe bourgeoise – noire ou blanche, peu importe –, mais véritablement haïtienne et tournée vers le développement du pays.
On peut s’inspirer d’exemples internationaux pour imaginer cette transformation. Dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Ghana ou le Sénégal, des entrepreneurs locaux ont investi dans des industries nationales et des services, créant des emplois et stimulant l’économie locale. Ces initiatives illustrent les principes du capitalisme inclusif et du développement endogène, qui prônent un investissement productif au service de la croissance durable. Une nouvelle bourgeoisie haïtienne pourrait suivre ce modèle, en réinvestissant sa richesse dans l’éducation, l’industrie et l’innovation locale, plutôt que de se limiter à l’accumulation personnelle
Alceus Dilson, Communicologue,Juriste
E-mail :alceusdominique@gmail.com