L’Edito du Rezo

Le président du Conseil présidentiel de transition (CPT), Laurent Saint-Cyr, a quitté Haïti ce samedi à destination de New York. Il doit prendre part à la 80e session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies et prononcer, le 25 septembre, une allocution officielle. Selon un communiqué de la Présidence, cette participation vise à « mobiliser la solidarité internationale » face à la crise multidimensionnelle que traverse le pays, avec un accent particulier sur la sécurité, la stabilité institutionnelle et la préparation d’élections crédibles.
L’intervention annoncée s’inscrit dans une longue tradition. Depuis près de quarante ans, les dirigeants haïtiens se succèdent à la tribune de l’ONU, avec des accents variables mais une constante : rechercher à l’extérieur ce qui ne parvient pas à s’enraciner durablement à l’intérieur.
- 1987-1991 : les promesses de transition. Henri Namphy et Prosper Avril multiplièrent les assurances de normalisation démocratique, sans effets réels. En 1991, Aristide fit entendre la voix de la souveraineté populaire, avant d’être renversé une semaine plus tard ; l’Assemblée générale adopta alors la résolution 46/7 condamnant la rupture de l’ordre constitutionnel.
- 1994-2005 : le temps des interventions. Restauré au pouvoir, Aristide invoqua la réconciliation nationale tandis que Boniface Alexandre, après 2004, sollicita le renfort international qui donna naissance à la MINUSTAH. L’ONU devenait ainsi acteur direct de la sécurité haïtienne.
- 2010 : l’élan humanitaire. René Préval plaida après le séisme pour une reconstruction coordonnée ; les promesses furent massives mais la mise en œuvre lacunaire.
- 2011-2018 : rhétorique sans réformes. Martelly et Moïse insistèrent sur l’investissement, la sécurité et la croissance, alors même que la défiance intérieure et les crises électorales s’enracinaient.
- 2022-2024 : l’appel à l’aide sécuritaire. Ariel Henry et Edgar Leblanc Fils demandèrent explicitement une mission internationale pour épauler la PNH ; le Conseil de sécurité finit par autoriser la mission multinationale conduite par le Kenya.
- 2025 : Laurent Saint-Cyr. Le nouveau président du CPT poursuit ce rituel diplomatique : demander solidarité et coopération, dans l’espoir de traduire une parole extérieure en stabilisation interne, jusqu’à penser obtenir l’appui de l’ONU pour effacer la Constitution de 1987.
Un membre fondateur sous tutelle implicite ?
Haïti fut l’un des 51 membres fondateurs des Nations Unies en 1945. Ironie de l’histoire, quatre-vingts ans plus tard, ce même État se présente régulièrement à la tribune non pas comme porteur d’un projet collectif, mais comme bénéficiaire chronique de la charité internationale. Dans le langage onusien, certains observateurs parlent d’un pays « placé sous chapitre » – une allusion au Chapitre VII de la Charte, qui fonde les interventions coercitives du Conseil de sécurité.
Les résolutions successives, les missions déployées, les aides financières promises montrent que la tribune a servi de caisse de résonance et de légitimation. Mais le bilan interroge : quarante ans de discours n’ont pas permis de construire les conditions d’une souveraineté institutionnelle durable.
À chaque session, Haïti rappelle au monde qu’il fut un pionnier de l’indépendance et un membre fondateur de l’ONU. Pourtant, son usage de la tribune onusienne traduit moins une puissance souveraine qu’un patient perpétuel du système international. La venue de Laurent Saint-Cyr en 2025 prolonge ce paradoxe : un pays qui réclame sécurité, élections et prospérité, mais qui reste prisonnier d’une dépendance structurelle aux interventions extérieures. La question demeure entière : quand Haïti parviendra-t-il à s’adresser à l’ONU en sujet pleinement souverain, plutôt qu’en demandeur de secours ?