En Haïti, la douane devrait être un levier de développement et de régulation du commerce extérieur. En pratique, elle est devenue l’un des principaux instruments d’exclusion économique. Derrière des tarifs officiels présentés comme neutres se cache un système qui, loin de favoriser la production nationale, asphyxie les forces productives et protège les intérêts d’une élite.
L’exemple rapporté par Jean Ralph Gracia, sur panel Magic le Directeur du contrôle de l’Administration Générale des Douanes, en dit long : un citoyen qui avait acheté une Suzuki Grand Vitara pour 7 000 dollars américains s’attendait à payer environ 350 000 gourdes de taxes. Il en a finalement payé près de 950 000 gourdes, soit plus de 100 % de la valeur du véhicule. Ce cas n’est pas isolé. C’est le quotidien des importateurs de matériel de construction, de petits entrepreneurs et de familles de la diaspora.
Un système fiscal qui ne protège rien
Dans la théorie économique classique, les droits de douane protègent l’industrie nationale ou financent les infrastructures publiques. En Haïti, aucune industrie n’est réellement protégée, aucun investissement stratégique n’est encouragé. La fiscalité douanière est devenue un obstacle au commerce et à l’investissement productif.
Une mobilité sociale verrouillée
Pour Pierre Bourdieu, les systèmes qui verrouillent l’accès aux ressources bloquent la mobilité sociale. C’est exactement ce que révèle notre grille tarifaire : ce qui est banal ailleurs – une voiture, des outils de travail – devient ici un luxe. Résultat : l’informalité progresse et la frustration collective alimente l’instabilité politique.
Un État extractif
Charles Tilly parlait d’“États extractifs” où les institutions enrichissent une minorité. Le Code douanier haïtien illustre ce modèle : il consolide les monopoles d’importation et empêche l’émergence d’une véritable classe moyenne entrepreneuriale.
Un chantier urgent
Plusieurs pays d’Amérique latine et d’Asie ont choisi d’alléger et de simplifier leurs tarifs douaniers, d’instaurer des guichets uniques électroniques et de réduire la corruption. Haïti peut s’inspirer de ces expériences pour réformer en profondeur son système douanier et en faire enfin un outil de croissance et de justice sociale.
Tant que le Code douanier restera un instrument au service d’intérêts privés, la société restera bloquée et la classe moyenne, moteur du développement, restera étouffée. L’heure est venue d’un sursaut.
Alceus Dilson
Communicologue, juriste
Alceusdominique@gmail.com