La création de « gouverneurs », chargés de gérer des ressources stratégiques comme le secteur minier, pose un risque majeur de spoliation et d’accaparement. Derrière l’argument de modernité se dissimule un dessein inavoué : fragmenter le pouvoir pour mieux le privatiser.
La réforme constitutionnelle proposée par le comité de pilotage dirigé par M. Enex Jean-Charles démontre moins une volonté de modernisation que la tentation de reproduire les pires errements de l’histoire politique haïtienne. L’idée d’implanter dix gouverneurs départementaux, additionnés à un président et un vice-président, consacre une hypertrophie institutionnelle qui confine à l’absurde. Dans un État déjà fragilisé par la corruption, l’impunité et le déficit public, une telle multiplication de charges publiques relèverait d’un gaspillage institutionnalisé. Cette architecture baroque, loin d’apporter de la stabilité, alourdirait le fonctionnement de l’État en créant des postes budgétivores, au moment même où le pays s’enfonce dans un déficit budgétaire documenté par les économistes.
Au regard du droit constitutionnel comparé, la notion de gouverneurs n’est pas illégitime en soi. Elle trouve une place dans des fédérations comme les États-Unis ou le Brésil. Mais Haïti n’est pas une fédération : son histoire, sa Constitution de 1987 et ses structures politiques n’ont jamais admis un tel découpage du pouvoir exécutif. Introduire une fonction étrangère à la tradition républicaine nationale sans un consensus populaire et parlementaire revient à imposer une greffe juridique vouée au rejet. C’est là une bêtise politique et un détournement du droit.
Plus grave encore, l’avant-projet cache des enjeux économiques qui ne disent pas leur nom. Attribuer à ces futurs gouverneurs la gestion des ressources minières, énergétiques et foncières revient à fragmenter la souveraineté nationale. Dans un pays miné par des accaparements illégaux de richesses naturelles, ce serait ouvrir la voie à des seigneuries locales, chacune dotée d’un gouverneur disposant de leviers économiques propres. Ce modèle n’est pas une innovation : c’est une stratégie de privatisation des ressources publiques.
Il ne suffit donc pas de rejeter cet avant-projet. Il faut en affirmer l’interdiction politique et juridique, afin qu’il ne consomme ni fonds publics ni temps institutionnel. Permettre à ce Conseil électoral provisoire, dont le budget dépasse les 60 millions de dollars, de porter un tel texte jusqu’à une consultation serait une faute grave. L’avenir de la Nation ne peut être livré à un exercice de « bêtise institutionnelle ». La patrie, un jour, devra rappeler ces rédacteurs devant le tribunal de l’histoire et, peut-être, devant celui de la justice pour répondre de cette tentative de dilapidation avec un projet contraire à l’intérêt général, en violation de l’esprit de l’article 284-3 qui protège la Charte fondamentale de manipulations opportunistes.
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