L’Edito du Rezo
Haïti : la fiction des élections libres sous l’ombre de la corruption et de l’impunité
Le droit électoral, en tant que garant de la légitimité démocratique, repose sur le principe liberae et aequae electiones, c’est-à-dire des élections libres et équitables, seules garantes de la souveraineté populaire. Or, l’architecture institutionnelle haïtienne révèle aujourd’hui une déchirure abyssale de l’édifice normatif : le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), institué pour conduire le pays vers des « élections », est lui-même entaché d’accusations de corruption grave, de clientélisme…de connivence avec des gangs terroristes. Trois de ses membres – Dr Louis Gérald Gilles, Me. Emmanuel Vertilaire et Diplomate Tèt Kale Smith Augustin – figurent dans un rapport officiel de l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC), relatif notamment au dossier de la Banque Nationale de Crédit (BNC), où un détournement présumé de cent millions de gourdes est évoqué. La fides publica de l’État se trouve, par conséquent, gravement ébranlée.
En droit constitutionnel, le principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans enseigne qu’aucune autorité ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour légitimer ses actes. Comment admettre que ces hommes, cités par un rapport officiel, signent un arrêté convoquant le peuple aux urnes ? Dans ces conditions, le processus électoral devient une « élection à vendre », où tout candidat bâtissant sa campagne sur la lutte contre l’impunité serait d’emblée neutralisé. Les acteurs déjà compromis dans l’affaire de la BNC n’accepteraient jamais qu’un futur élu ose rouvrir le dossier de l’ULCC : le suffrage est ainsi vicié ab initio.
Sur le plan international, l’illusion est entretenue. Les partenaires étrangers, prompts à proclamer Haïti « prête » à des élections, feignent d’ignorer l’adage fraus omnia corrumpit : la fraude corrompt tout. L’ingénieur Jecrois Saint-Gardien, dans une analyse relayée par Rezo Nòdwès, a révélé l’existence de plus de 800 000 cartes électorales falsifiées ou en double émission, ouvrant la voie à des manipulations massives et à des fraudes flagrantes. Dans un tel contexte, toute certification par la communauté internationale d’élections « libres et honnêtes » reviendrait à consacrer une violation manifeste de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), ratifié par Haïti.
À cette équation s’ajoute un projet politique visant à verrouiller l’avenir. Alix Didier Fils-Aimé souhaiterait des élus dociles, incapables de remettre en cause ses contrats passés de gré à gré, son engagement à livrer les ports du pays à ses proches pour plus de deux décennies, ou encore sa volonté de céder les douanes à des groupes assimilés à des mercenaires, rappelant les dérives de 1915. En réalité, ce dispositif vise à neutraliser toute émergence d’élus légitimes susceptibles de restaurer l’autorité de la loi, de rouvrir les dossiers de corruption et de rétablir la souveraineté de l’État. Il s’agit moins d’une simple irrégularité que d’une véritable capitis deminutio infligée à la République.
Haïti est ainsi placée devant une alternative existentielle : accepter un processus électoral marqué par l’illégalité, la corruption et la soumission aux intérêts privés, ou refuser de cautionner une mascarade qui viole à la fois la Constitution et les principes universels de la démocratie. Car ex iniuria ius non oritur : aucun droit, aucune légitimité ne peut naître de l’illégalité. Les élections annoncées portent déjà les stigmates d’un échec programmé, et la vigilance citoyenne reste l’ultime recours pour que la souveraineté populaire ne soit pas définitivement confisquée.

