Par Patrick Prézeau Stephenson
PORT-AU-PRINCE —Les enjeux du déplacement du Premier ministre haïtien Alix Didier Fils-Aimé à Washington ne pourraient être plus élevés. En 48 heures de diplomatie navette, centrées sur une réunion tripartite ONU/CARICOM–Groupe des personnalités éminentes/OEA et une session du Groupe des amis d’Haïti, il cherche plus que des communiqués compatissants. Il lui faut des résultats concrets : des capacités d’appui sécuritaire qui modifient réellement le rapport de force dans les rues de Port‑au‑Prince, des financements qui arrivent à temps et au bon endroit, et des garde‑fous politiques qui offrent à son gouvernement de l’oxygène sans hypothéquer sa légitimité.
Le contexte
- Le forum : Un alignement rare entre l’ONU, le Groupe des personnalités éminentes de la CARICOM et l’OEA — trois pôles qui ne marchent pas toujours au même pas — pour recalibrer la « feuille de route » de l’OEA de juillet et canaliser les engagements du Groupe des amis (États‑Unis, Canada, France, Brésil, membres de l’UE, entre autres).
- La toile de fond sécuritaire : La crise haïtienne n’est plus un simple défi policier. Des réseaux armés contrôlent et disputent des espaces urbains. La Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), autorisée par l’ONU et dirigée par le Kenya, existe, mais son impact dépendra de la continuité des moyens, de règles d’engagement protectrices des civils, et de sa bonne articulation avec le commandement haïtien et la PNH.
- L’horloge politique : Un plan qui ignore la stabilisation de court terme tout en repoussant les réformes de gouvernance et de justice échouera ; un plan qui ne mise que sur la force sans services visibles, protections des droits et repères anti‑corruption brûlera vite son capital de crédibilité.
Ce que Fils-Aimé devrait demander — et pourquoi cela compte
1. Un volet sécuritaire à la hauteur de la réalité urbaine
- La demande : Un addendum formalisé à la feuille de route de l’OEA précisant la composition des forces, les priorités géographiques et les calendriers — intégrant unités tactiques de la PNH, une composante mobile de type gendarmerie pour « tenir », et une capacité multinationale de réaction rapide limitée (moyens aériens, évacuation médicale, ISR, contre‑drones).
- Pourquoi : Des efforts uniquement policiers ne peuvent pas « reprendre et tenir » plusieurs quartiers à la fois. Un modèle hybride sous autorité haïtienne, avec des garde‑fous stricts en matière de droits humains et un calendrier public de retrait progressif, est la moins mauvaise option pour ouvrir l’espace à la gouvernance.
2. De l’argent pour des capacités d’appui, pas seulement des effectifs
- La demande : Des financements fléchés pour le transport aérien (hélicoptères), les moyens blindés de franchissement, des communications sécurisées, l’ISR aérien et terrestre, des kits anti‑drones, et la logistique (carburant, maintenance, pièces) — ainsi qu’un flux prévisible de primes/stipends pour stabiliser la rétention au sein de la PNH.
- Pourquoi : Les forces de sécurité haïtiennes perdent du terrain autant à cause de lacunes logistiques que des tirs adverses. Sans capacités d’appui, le tempo s’effondre et les zones reprises rechutent.
3. Un Fonds de stabilisation des quartiers lié à des critères de « tenue »
- La demande : Un fonds mutualisé à décaissement rapide libérant des tranches uniquement lorsque des critères concrets sont remplis — école rouverte, clinique dotée, eau rétablie, marché fonctionnel, mécanisme de plaintes opérationnel, incidents affectant des civils investigués et réparés.
- Pourquoi : Les communautés basculent quand l’État prouve qu’il peut protéger et fournir. La conditionnalité rend les donateurs plus disposés à mobiliser des fonds immédiatement.
4. Une cellule conjointe de ciblage et de transparence
- La demande : Une unité facilitée par l’ONU/OEA, relevant des autorités haïtiennes, fusionnant les renseignements, traquant les cibles liées aux enlèvements et au trafic d’armes, et publiant des indicateurs mensuels : territoire tenu, armes saisies, poursuites engagées, examen des atteintes aux civils.
- Pourquoi : La visibilité nourrit la légitimité et discipline tous les acteurs, étrangers comme nationaux.
5. Un pacte frontalier légal avec la République dominicaine
- La demande : Des protocoles, sous l’égide de l’OEA, pour des patrouilles conjointes, des entrepôts sous douane, un partage de données douanières et un suivi tiers afin de tarir les flux d’armes et d’argent tout en réduisant les frictions aux points de passage.
- Pourquoi : Chaque opération urbaine réussie perd son effet si les chaînes d’approvisionnement restent ouvertes.
6. Une « montée en puissance » de la justice synchronisée avec la sécurité
- La demande : Des procureurs mobiles et juges d’instruction intégrés aux équipes de stabilisation ; des procédures accélérées pour l’extorsion, le trafic d’armes et les enlèvements ; des dispositifs de détention et de chaîne de conservation des preuves fiabilisés.
- Pourquoi : Sans justice visible, les arrestations se transforment en impunité recyclée. Les tribunaux doivent arriver avec les patrouilles.
Ce que Washington et ses partenaires demanderont en retour
- Commandement et redevabilité : Direction haïtienne, lignes claires entre MMAS et PNH, mécanismes de revue des incidents, engagement à publier les constats sur les atteintes aux civils et les mesures de réparation.
- Repères et trajectoire de retrait : Objectifs limités dans le temps et spécifiques par zone, indiquant quand les capacités d’appui se retirent au fur et à mesure que la capacité haïtienne de « tenir » se met en place.
- Anti‑corruption et filtrage : Vetting élargi des unités de la PNH, transparence des marchés publics, coopération avec les sanctions visant facilitateurs et financeurs dans les milieux politiques et d’affaires.
- Inclusion interne : Concertation structurée avec la société civile, les autorités locales et les opérateurs économiques dans les quartiers ciblés, pour éviter l’optique — et la réalité — d’une solution imposée de l’extérieur.
Résultats probables d’ici jeudi
- Un communiqué conjoint qui resserre le séquençage : Attendez‑vous à un langage explicite « reprendre‑tenir‑reconstruire » et à l’engagement d’ajouter un volet sécuritaire à la feuille de route de l’OEA, aligné sur les opérations de la MMAS sous autorité haïtienne.
- Des signaux financiers, avec une certaine immédiateté : Nouvelle tranche vers le fonds d’affectation de la MMAS, soutiens bilatéraux pour la mobilité aérienne et l’anti‑drone, et dotation initiale d’un Fonds de stabilisation des quartiers lié à des critères.
- Des mécanismes, pas seulement des réunions : Accord de principe pour mettre en place une Cellule haïtienne conjointe de ciblage et de transparence et pour piloter deux à trois zones de stabilisation avec des critères stricts et des tableaux de bord publics.
- Coopération frontalière : Mandat donné à l’OEA pour rédiger sous quelques semaines un cadre de pacte frontalier RD‑Haïti, avec des mesures intérimaires de partage de données douanières.
- Liaison justice : Engagements pour déployer des procureurs mobiles et soutenir la remise à niveau de la détention dans les zones de stabilisation initiales.
Signaux d’alarme à surveiller
- Verbes vagues : Si « soutenir », « envisager » et « encourager » dominent sans chiffres, dates et unités, peu de choses bougeront sur le terrain.
- Dérive du financement : Des promesses parquées dans des canaux lents n’aideront pas les quartiers ce trimestre. Cherchez des calendriers de décaissement et des opérateurs nommés.
- Confusion de mandats : Des chaînes de commandement qui se chevauchent entre PNH, MMAS et une éventuelle composante de type gendarmerie peuvent paralyser les opérations et la redevabilité.
- Silence sur les atteintes aux civils : L’absence de mécanismes explicites d’examen et d’indemnisation sapera la légitimité et nourrira le recrutement des groupes armés.
- Politique frontalière : Si la coopération avec la RD est laissée à un bilatéralisme discret sans suivi de l’OEA, le robinet des armes et des flux financiers restera trop ouvert.
L’essentiel
Le déplacement de Fils-Aimé ne vise pas à vendre un récit ; il s’agit de verrouiller une séquence. Les partenaires d’Haïti ont esquissé une feuille de route humaine ; il faut maintenant y greffer une colonne vertébrale sécuritaire crédible, ancrée dans les droits, et financer les tissus conjonctifs — logistique, renseignement et justice — qui transforment des plans en protection. Si cette semaine débouche sur des mandats clairs, des financements à court terme et des mécanismes relevant des autorités haïtiennes et du public haïtien, l’aiguille peut bouger. Si elle ne produit que des mots chaleureux et des promesses de formation, attendez‑vous à un nouveau cycle de reculs et de deuils.
Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com
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