L’Edito du Rezo
Haïti en contrainte contractuelle : mercenaires, dépenses ostentatoires et simulacres électoraux
La configuration politique et institutionnelle haïtienne échappe à toute rationalité républicaine. Les « postes de péage », jusqu’alors monopole des gangs terroristes sous les yeux des forces publiques, seraient aujourd’hui ou très bientôt délégués à des « mercenaires », conférant à l’État une fonction longtemps exercée dans l’ombre de l’illégalité.Cette mutation, d’apparence administrative, constitue une transsubstantiation du pillage : ce qui relevait de la coercition armée devient une « sécurité privatisée », aux dessous avoués et inavouables. Blackwater, acteur planétaire de cette sécurité contractuelle, s’apprêterait à quadriller ports et corridors commerciaux. La rhétorique officielle évoque la « sécurisation » ; la sémantique de la réalité dénonce la vassalisation territoriale.
Pendant ce temps, le Trésor public continue d’être saigné pour des allocations ostentatoires. Plus de cent millions de gourdes ont été débloquées pour les commémorations de Bois Caïman, dont la portée historique ne saurait justifier de telles dépenses en période de famine structurelle. Ces libéralités budgétaires, sans reddition de comptes, s’inscrivent dans un cycle constant. Elles coïncident avec un vocabulaire politique saturé de promesses d’« élections crédibles », terme désormais vidé de sens dans un État où la crédibilité se réduit à un instrument de discours, usé, pourri et manipulé.
La tournée du nouveau coordonnateur du CPT, souffrant de « presidentite », auprès d’icônes politiques antinomiques – Jean-Bertrand Aristide, Jocelerme Privert, Prosper Avril – révèle la scénographie répétitive d’un carnaval d’ombres politiques. Chacun de ces acteurs, porteur de contradictions historiques, sert de caution symbolique à un processus qui relève non pas de la planification institutionnelle ni du dialogue national, mais de la diplomatie de connivence. Annoncer des élections dans un délai quadrimestriel constitue une mystification à visée anesthésiante, destinée à confondre l’urgence sociale avec un simulacre de gouvernance électorale.
La révélation du rôle attribué aux contingents kényans met en évidence la finalité économique de cette intervention, présentée sous le prétexte de rétablir la sécurité publique et de favoriser l’organisation de prétendues « bonnes élections ». En réalité, il s’agit avant tout d’assurer la circulation des marchandises – sacs de riz, denrées stratégiques – depuis la frontière dominicaine jusqu’aux entrepôts du secteur privé directement lié au pouvoir en place. Cette configuration instaure un nouvel ordre de dépendance, que l’on pourrait qualifier de « souveraineté sous franchise ».
Après les péages clandestins contrôlés par les gangs, surgissent désormais les barrières tarifées des mercenaires. Quand Haïti reprendra-t-elle sa capacité décisionnelle autonome ? L’État, réduit à un usufruit concédé, voit la dépossession se transformer en véritable matrice de gouvernance.