La boucle haïtienne : mêmes mots, mêmes gestes, mêmes désillusions. Le Conseil Présidentiel de Transition se distingue par une aptitude singulière à renouveler l’emballage tout en préservant intact le contenu.
La chronique politique d’Haïti s’apparente à une psalmodie cyclique: mêmes mots, mêmes formules, mêmes liturgies sécuritaires, répétées avec une conviction théâtrale par une succession d’acteurs interchangeables. De Joseph Jouthe, le 6 mai 2020, promettant les grands moyens pour « finir avec les gangs », à Claude Joseph, le 30 juin 2021, inventant la qualification « terroriste » comme s’il baptisait un nouveau fléau, la chorégraphie est restée invariable. Les gestes sont solennels, les communiqués emplis de gravité syntaxique, mais le pays, tel Sisyphe, retombe inexorablement au bas de la pente, chaque promesse d’éradication se transformant en simple prélude à la prochaine déclaration martiale.
Cette invariabilité lexicale et scénique est révélatrice d’un phénomène que l’on pourrait qualifier d’administration incantatoire : gouverner en répétant les mêmes mantras sécuritaires dans l’espoir qu’ils finissent par se matérialiser. Juin 2023 d’Ariel Henry n’y a pas échappé, les formules d’usage – restaurer la paix, mobiliser toutes les ressources – étant réchauffées à feu doux pour être servies à nouveau au banquet du désespoir collectif. Pendant ce temps, les gangs G9 ou Viv Ansanm, inamovibles maîtres du terrain, se muent en véritables contre-pouvoirs territoriaux, accomplissant leur sinistre mandat sans opposition substantielle, sinon verbale.
L’épisode du 8 août 2025 n’est donc qu’une nouvelle variation sur le thème. L’instauration de l’« état d’urgence » pour trois départements – Ouest, Artibonite, Centre – sonne comme une incantation de plus, drapée dans l’apparat juridique. On y retrouve le lexique classique : mobilisation des ressources, rétablissement de l’ordre, paix et sécurité – un langage de décret qui, par son usure, en devient presque ornemental, et totalement vide de sens. La nomination sur approbation des principaux tuteurs d’un nouveau Directeur Général ad interim à la tête de la PNH, le énième, parachève la mise en scène : un changement de visage qui se veut galvanisant, mais dont l’efficacité réelle se heurte à la permanence des logiques de capture institutionnelle et d’insuffisance logistique.
Ce théâtre politico-administratif recèle aussi une dimension d’illusion performative : l’acte de déclarer devient lui-même la finalité, comme si l’énonciation publique des mesures suffisait à modifier la réalité. C’est une gouvernance en trompe-l’œil, où l’état d’urgence est moins un outil opérationnel qu’un emblème, un blason accroché au frontispice du pouvoir pour feindre l’action. Satiriquement, on pourrait dire que l’État haïtien – au contrôle total du secteur des affaires – s’illustre par une capacité singulière à renouveler l’emballage sans jamais toucher au contenu, à déplacer les pions sur un échiquier dont les règles restent dictées par les mêmes forces occultes.
Au fond, cette répétition rituelle a pour effet pervers d’anesthésier l’opinion publique. L’urgence proclamée devient une musique d’ambiance, l’exception un mode de gouvernance permanent, et la promesse de restauration de la « dignité nationale » une figure rhétorique flottant dans l’éther des proclamations sans lendemain. Pendant que la scénographie se déploie, les acteurs politiques, eux, préparent d’autres projets – tel que le changement constitutionnel – comme si la légitimité pouvait se déduire d’une suite de communiqués et non d’un mandat populaire effectif. Dans cette comédie des annonces, la répétition n’est pas mère de la pédagogie, mais marâtre de la crédibilité.