Analyse du discours de Laurent Saint-Cyr, coordonnateur du CPT, une institution ex nihillo
Le discours de Laurent Saint-Cyr à l’occasion de son installation au sein du Conseil présidentiel de transition a laissé transparaître une série de déclarations politiquement calculées, juridiquement ambiguës et moralement préoccupantes.
Il s’exprime comme un chef d’entreprise, rappelant son ancrage dans le secteur privé, tout en prétendant incarner une nouvelle forme d’engagement civique. Pourtant, cette posture entrepreneuriale ne masque pas les paradoxes de son positionnement au sein d’une structure que la Constitution haïtienne n’a jamais prévue. Le Conseil présidentiel de transition, dont il est membre, est en effet une entité extra-constitutionnelle, née d’un consensus politique opaque ant ti zanm n’ayant aucun respect pour les lois et normes etablies, sans base légale claire, et qui concentre des figures soupçonnées publiquement de corruption grave et de connivence avec les gangs.
Saint-Cyr évoque une nécessité urgente de sécurité, parle de désarmement, de « coupure avec la violence », et de politiques d’intégration pour ceux qui ont pris les armes contre la population, c’est la chronique d’une amnistie. Il promet des résultats concrets, propose d’offrir des alternatives solides à ceux qui sont enrôlés dans la criminalité.
Il veut, dit-il, voir chaque déplacé retourner chez lui, chaque citoyen reprendre espoir, chaque espace du territoire réintégré dans la vie institutionnelle.Mais cette rhétorique est elle-même piégée par une série de contradictions. Car la promesse sécuritaire, souvent répétée, ne suffit plus. Le secteur privé, dont il dit provenir, a été accusé à plusieurs reprises de financer ou de tolérer des groupes armés, lorsqu’ils garantissent un certain ordre économique.
La violence n’est pas seulement une défaillance de l’État, elle est parfois un outil de contrôle social, économique et politique.Il affirme également que « ça fait trop longtemps que la création de richesse échappe à la majorité », une affirmation qui n’est pas nouvelle. Il déplore que « le peuple soit maintenu à l’écart de l’économie », que les institutions soient vidées de leur capacité d’action, que l’irresponsabilité ait remplacé la vision. Ces paroles, justes en apparence, n’ouvrent cependant aucune piste concrète sur la manière de corriger cette marginalisation économique systémique. Le secteur privé haïtien, dont il est une figure représentative et soumise, a trop souvent été associé à la captation des ressources, à l’évasion fiscale, à la reproduction des inégalités. Peut-on espérer une réforme structurelle de l’intérieur, sans rupture avec les pratiques oligarchiques ?
Le moment le plus troublant de son intervention fut sans doute son attaque contre la presse. INDEPENDANTE qui denonce les derives de ce regime « le plus corrompu du pays » selon Transparency International. « Il nous faut une presse libre et responsable », a-t-il déclaré. Or, cette injonction, formulée sur un ton professoral, laisse entendre que la presse haïtienne ne serait pas à la hauteur. Cette posture grotesque interpelle. Depuis 1986, la liberté de la presse est garantie par la Constitution, conquise dans le sang et la dignité par des journalistes comme Jean Dominique. Dans un contexte où les journalistes sont régulièrement contraints à l’exil ou menacés, la leçon donnée par Saint-Cyr qui n’est nullement en position de le faire, sonne comme un avertissement. D’autant plus inquiétant qu’elle vient d’un homme accusé d’absentéisme, désormais membre d’un Conseil où siègent trois personnes publiquement mises en cause pour corruption – les braqueurs de la BNC – (voir rapport ULCC. Qui est réellement responsable ici ?
Cette déclaration, prononcée à l’occasion de son intronisation, soulève une question cruciale : en moins de six mois, le Conseil présidentiel compte-t-il organiser des élections crédibles et un référendum national ? Pour quel peuple ? Pour le pays de Dessalines ? La réponse semble évidente : non. Le calendrier électoral est irréaliste, les conditions sécuritaires sont inexistantes, et l’appareil étatique est fragmenté. Ce que propose Laurent Saint-Cyr et ses pairs et tuteurs n’est pas une transition, mais une illusion. Une mise en scène pour la consommation de l’international.
La rédaction de Rezo Nodwes – Presse libre et anti-corruption