L’Edito du Rezo
N’était-ce la réaction véhémente du président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), M. Fritz Alphonse Jean, l’étrange note de « clarification » publiée la veille au nom de la Présidence sur le dossier Caribbean Port Services (CPS) serait passée, comme tant d’autres, dans la coulisse opaque des arrangements d’État. Or, voici que le CPT, dans un geste d’auto-dénonciation institutionnelle rare mais saisissant, expose au grand jour l’effondrement moral, administratif et juridique du pouvoir dit « de transition ». Sous couvert de promouvoir des « référendums » et des « élections honnêtes et crédibles », cette équipe dirigeante offre désormais le spectacle désolant de sa propre disqualification morale et institutionnelle.
Une première note officielle, émise le 4 août 2025 sous l’en-tête de la Présidence, se voulait une simple « mise au point » sur les privilèges contractuels accordés à la CPS, gestionnaire controversée d’installations portuaires stratégiques. Elle confirmait, avec une désinvolture notariale, la légalité d’un bail de vingt-sept ans sur des terres de l’État, renouvelé trois fois sans interruption depuis décembre 2023. On y saluait des « échanges fructueux » et un « cadre légal clair », citant des décrets datés de la dictature des Duvalier 1964 à 1985, comme si rien, dans l’histoire actuelle d’Haïti, n’avait jamais remis en cause ce modus operandi colonial du secteur portuaire.
Mais ce que cette note évacue soigneusement, c’est l’odeur entêtante des ententes privées publiques, la permanence du favoritisme, et la confiscation du bien commun par quelques firmes accréditées par l’État.
Or, voilà que le président sortant du CPT, dans une seconde note émise le 5 août, s’élève avec une rare rigueur contre cette publication, dénonçant un acte de propagande réalisé sans son aval, et malgré ses objections formelles. Il évoque même des pressions internes, des menaces de révocation à l’encontre du personnel du bureau de communication, et des tentatives d’intimidation visant à faire publier un texte partisan — sans consultation juridique préalable.
Le schisme est désormais acté : le CPT se déchire publiquement, et dans cette cacophonie, ce n’est plus seulement la crédibilité du dossier CPS qui est atteinte, mais l’entièreté de la transition politique haïtienne qui se retrouve éclaboussée.
Cette équipe, qui prétend vouloir organiser des « référendums » et des « élections honnêtes et crédibles », donne aujourd’hui le spectacle de son propre discrédit.
Comment croire à la sincérité d’un processus électoral lorsque les plus hauts sommets de l’État s’accusent mutuellement de manœuvres, de coup de force administratif, et de complicité implicite dans des contrats léonins au profit d’intérêts privés bien connus ? Comment espérer une Constitution « refondée » lorsque l’institution censée la porter est elle-même incapable d’appliquer les principes élémentaires de collégialité, de transparence et d’intégrité ?
En vérité, ce feuilleton lamentable ravive le souvenir de l’affaire Smith Augustin, interpellé vendredi dernier par les services de renseignement dominicains pour avoir pénétré clandestinement sur leur territoire. L’épisode s’inscrit dans la continuité des arrangements nocturnes caractéristiques d’un pouvoir en pleine déliquescence. De l’audace déplacée d’un conseiller-président qui s’est compromis dans cette affaire aux scandales financiers autour des braquages de la Banque Nationale de Crédit, le régime actuel semble résolu à confondre mission de transition et entreprise prédatrice.
La mascarade est d’autant plus choquante que la note présidentielle évoque froidement les termes d’un contrat léonin, comme si la loi portuaire haïtienne se résumait à un décalque de décrets vétustes. Loin d’un avis du CSC/CA ou d’un arbitrage neutre, c’est une offensive de blanchiment légal qui a été orchestrée — jusqu’à ce que l’un des principaux acteurs la dénonce.
En définitive, la « note » du 4 août ne tient debout que parce qu’elle a été aussitôt contredite par une note contraire. Ce n’est plus de la gouvernance : c’est une foire. Une dissonance d’État. Une abdication.
Haïti n’a ni le luxe du temps, ni celui du chaos. L’heure est venue de réaffirmer que la chose publique ne peut plus être traitée comme un marché de dupes entre copains et coquins et raketè. La dénonciation interne du CPT, aussi troublante qu’elle soit, a au moins le mérite de lever le voile : à ce niveau de désordre, on ne réforme plus — on sauve ce qui peut encore l’être.


