par Elensky Fragelus
Dans la vallée asséchée de République-d’en-bas, le soleil brillait avec une arrogance d’ambassadeur. Les feuilles de flamboyant se recroquevillaient sous les confidences brûlantes de la terre, pendant que le peuple, les pieds craquelés comme la boue des mornes, criait famine en silence.
C’est dans ce théâtre poussiéreux que surgit Donato Bolo, un homme à la bedaine aussi large que ses ambitions. On disait de lui qu’il était né deux fois : une fois du ventre de sa mère, et une autre fois dans les entrailles d’un marché électoral où l’on vendait les votes comme du poisson sec. Il avait commencé petit, chef de cambise, puis député par la grâce d’un paquet de riz gonflé d’intentions. Mais son miracle véritable eut lieu un soir de cocktail à l’hôtel Montana, quand un sous-secrétaire d’État américain, en mission furtive, tapota son épaule :
— You seem promising, Mr. Bolo.
Dès ce jour-là, Donato ne marchait plus sur la terre. Il flottait au-dessus des foules comme un esprit de zombification politique. Il répétait à qui voulait l’entendre, un sourire en coin, les bras ouverts comme un Christ tropical :
— Le blanc m’a validé.
Le président en personne, un homme falot sans éclat, le nomma ministre des Travaux Stratégiques et Relations Globales, un ministère inventé sur mesure pour ses appétits d’ogre. À peine nommé, Donatien transforma sa villa à Laboule en palais miniature, fit venir des chefs français pour ses dîners, et signa des contrats mirobolants avec des entreprises fictives établies en Floride, là où ses lobbyistes dévorèrent les fonds publics comme des termites dans un cercueil en acajou.
Il avait la langue dorée et l’audace des possédés. Il recevait les bandits masqués de Bel-Air dans son bureau climatisé, leur promettant des contrats de sécurité pendant que la police regardait ailleurs. Sa nièce de 22 ans devint directrice générale de l’Aéroport pendant que son fils, étudiant en droit aux résultats douteux, gérait les passations de marché.
Mais voilà qu’un vent sec se leva du côté des platanes de Bourdon. Il s’appelait Alméria Louverture, jeune enquêtrice du journal Fey Tèt Dwat. Elle avait des yeux perçants comme des machettes neuves et un flair de limier. Elle flairait la corruption comme le cochon sent la truffe. Son premier article titrait :
« Donato Bolo, Ministre ou Parrain d’État ? »
Donato rit. Il convoqua les journalistes à El Rancho, distribua des enveloppes grasses et déclara :
— C’est une ti-fi jalouse de mon succès. Moi, j’ai le soutien de Washington.
Mais Alméria continua. Elle traça les transferts bancaires vers les îles Vierges, publia les photos des réunions secrètes avec des chefs de gang, exposa les appels d’offres truqués, les fausses firmes américaines créées avec des prête-noms, et même l’achat d’un yacht payé par le ministère pour « inspection côtière stratégique ».
Les coups commencèrent à pleuvoir sur elle. Menaces, filatures, tentative d’agression. Mais la jeune femme, portée par une fougue de justice presque mystique, résista. Chaque article d’elle était comme une goutte d’eau sur une terre assoiffée. Le peuple commença à murmurer. Les ONG s’agitèrent. Puis ce fut l’ambassade des États-Unis qui, dans un communiqué laconique, annonça :
— We are concerned by recent revelations.
Donato Bolo sentit le sol se dérober. Les lobbyistes ne répondaient plus. Les appels au « p’tit blanc » restaient sans réponse. Il dépensa ses derniers millions pour organiser une soirée de gala en l’honneur de l’amitié haïtiano-américaine. Personne ne vint.
Une semaine plus tard, une commission parlementaire vota à l’unanimité sa destitution. Il fut arrêté au petit matin, dans sa villa, en robe de chambre de soie, les mains encore parfumées d’une crème importée de Miami. Tandis qu’il descendait les marches entouré d’UDMO, les caméras captaient son visage : pas de rage, pas de larmes. Juste une incompréhension…
— Mais… le blanc m’avait validé…
Dans les mornes, le vent portait les nouvelles comme une chanson de déchoucage. Le peuple reprenait espoir, et sous les flamboyants, on murmurait déjà qu’Alméria, la journaliste, était peut-être la réincarnation de Défilée La Folle, revenue pour balayer les masques.
Elensky Fragelus