L’Edito du Rezo
Le 29 juillet 1959, sous prétexte de garantir la sécurité nationale, le président François Duvalier légalise la création du corps des Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN). En réalité, cette milice, rapidement surnommée « Tontons Macoutes », est conçue pour échapper au contrôle de l’armée, que Duvalier soupçonne d’hostilité depuis la tentative de coup d’État de 1958. Recrutés dans les couches populaires, les Macoutes forment une structure paramilitaire informelle, armée, hiérarchisée, entièrement dévouée au chef de l’État.
Le nom « Tonton Macoute » évoque un personnage effrayant du folklore haïtien qui enlève les enfants désobéissants. Duvalier instrumentalise cette figure mythique pour installer la peur dans l’imaginaire collectif. À cette mythologie s’ajoute une stratégie d’intégration de prêtres vodou dans la milice, ce qui confère aux Macoutes une autorité religieuse redoutée. Le régime développe ainsi une triple légitimité : présidentielle, populaire et mystique.
Les Macoutes se voient confier la surveillance du territoire, la répression des opposants et la défense des « valeurs de la révolution duvaliériste ». Ils agissent hors de tout cadre légal. Leurs exactions – assassinats, tortures, disparitions forcées – sont rarement documentées, mais les estimations font état de 30 000 à 60 000 victimes sous les deux Duvalier. Cette violence quotidienne vise à étouffer toute velléité d’opposition politique, syndicale ou intellectuelle.
À la mort de François Duvalier en 1971, son fils Jean-Claude hérite non seulement du pouvoir mais également de l’appareil répressif. Sous « Baby Doc », les Macoutes poursuivent leur domination, désormais centrée sur l’extorsion économique, les trafics illicites et la corruption structurelle. Le maintien de ce système se fait au prix d’un exode massif. Entre 1972 et 1986, des dizaines de milliers d’Haïtiens fuient le pays, marquant le début des vagues migratoires vers les États-Unis et le Canada.
Le soulèvement populaire de mai 1985, parti des Gonaïves, précipite la fin du régime. Le 7 février 1986, Jean-Claude Duvalier est contraint à l’exil. Bien que les Tontons Macoutes soient dissous de manière formelle, leur héritage se perpétue à travers des réseaux informels de pouvoir, d’intimidation et de clientélisme, souvent récupérés par d’autres régimes politiques post-duvaliéristes. Le mot macoutisme devient synonyme de violence politique, d’impunité et d’assujettissement collectif.
L’histoire des Tontons Macoutes illustre le processus de fabrication d’un État répressif où l’autorité présidentielle s’exerce par la peur, la personnalisation du pouvoir et la négation du droit. Elle rappelle la nécessité d’une vigilance constante face à la résurgence de modèles autoritaires. Plus d’un demi-siècle après, les traces de ce régime de terreur continuent d’empoisonner la vie politique haïtienne et d’entraver toute perspective d’un État de droit véritable.
Sources
- Amnesty International. Haïti : Crimes d’État sous Duvalier, 2011.
- Coha.org. The Tonton Macoutes: Duvalier’s Reign of Terror.
- Wikipedia (fr/en) : Tonton Macoute, François Duvalier.
- BlackPast.org. Tonton Macoutes (1959–1986).
- Fides.org. Haiti and the rise of criminal governance, 2023.
