21 novembre 2025
Surtaxation arbitraire : À l’encontre de la thèse « Trop d’impôt tue l’impôt » 
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Surtaxation arbitraire : À l’encontre de la thèse « Trop d’impôt tue l’impôt » 

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« Trop d’impôt tue l’impôt » réfère à une fameuse théorie économique préconisée par l’économiste américain Arthur Laffer dans les années 1970 où il résume l’idée qu’un excès de pression fiscale peut devenir contre-productif (Domitrovic, 2021). Tandis que les incitations fiscales deviennent un facteur décisionnel dans le choix géographique des investissements directs étrangers (Easson, 2004 ; Kransdorff, 2010), des taxes excessives découragent le travail, l’innovation, l’échange commercial et l’investissement. Dans cette perspective, Contractor (2025) avance que des mesures de hausses de tarifs douaniers (taxes sur les importations) décidées de manière arbitraire peuvent aboutir à un cercle économique vicieux. Elles sont susceptibles de compromettre les échanges commerciaux, les emplois liés aux exportations entre pays partenaires et la prospérité partagée (Calì et al., 2015). Ces perturbations n’écartent pas le risque de plonger ensemble dans la récession. Dès lors, les régimes de tarification apparaissent comme des outils stratégiques entre les mains de l’État qu’il convient de manier avec discernement pour ne pas nuire à l’harmonie des dynamiques socioéconomiques. En ce sens, tout système reposé sur la bonne gouvernance doit plutôt inciter au caractère sain de la fiscalité en vue de stimuler la croissance économique et un climat des affaires propice aux investissements (Villela & Barreix, 2002). 

La collecte de taxes par un gouvernement s’avère cruciale en ce qu’elle contribue à assurer des fonctions économiques essentielles telles que la fourniture des services publics et la redistribution de la richesse afin de promouvoir le bien-être social (Atkinson, 2015 ; Musgrave, 2002). Par exemple, dans une étude portant sur le développement des économies asiatiques, Tanzi & Shome (1992) concluent que les impôts sur la richesse et une fiscalité plus équitable sur le revenu peuvent servir d’instruments efficaces pour réduire les dépenses ostentatoires et les inégalités socioéconomiques. En revanche, une fiscalité excessive sape la compétitivité dans la mesure où elle peut inciter les capitaux, les entreprises et les talents à se délocaliser vers des zones plus fiscalement attractives. Tout en mettant en lumière le choix de plusieurs célébrités ayant changé de zones de résidence afin d’échapper à une fiscalité jugée trop défavorable, Kleven et al. (2020) apportent des nuances quant à l’impact de la taxation sur la mobilité des populations. Dans un contexte mondial tourné vers le codéveloppement et la redistribution en vue de réaliser l’idéal de la prospérité partagée, de nombreuses études récentes se penchent sur les potentielles corrections et distorsions des systèmes fiscaux (Piketty, 2014 ; Seelkopf & Lierse, 2017 ; Piketty & Cantante, 2018). Malgré son ancienneté, la courbe de Laffer demeure un cadre analytique de référence pour illustrer les risques de ralentissement et de récession auxquels un pays s’expose lorsque les niveaux de prélèvements fiscaux sont fixés sans tenir compte des indicateurs économiques pertinents.

Eu égard aux comportements des agents économiques exprimés notamment par leur élasticité vis-à-vis de certains produits, on dénote une panoplie de situations où une hausse du taux de taxation pourrait réduire les recettes fiscales au lieu de les augmenter. Ce raisonnement s’applique aussi bien à un pays pris isolément qu’à des scénarios impliquant plusieurs États. Par exemple, une importante réduction des importations induite par des droits de douane excessifs peut provoquer une réduction des recettes fiscales à collecter par l’État. Bien qu’elle se caractérise par sa simplicité, la Courbe de Laffer brosse avec éloquence les manques à gagner engendrés par des niveaux de taxation sous-optimaux. En nous référant à la figure 1 (Courbe de Laffer), les deux extrêmes illustrent des situations totalement déficitaires pour l’État. Si le taux d’imposition avoisine 0 %, l’État ne collecte aucune recette. Si cet indicateur converge vers 100 %, les recettes fiscales s’annihilent aussi car les agents économiques n’ont aucun intérêt à travailler ou à investir. 

Dans le premier cas, l’anarchie prévaudrait en raison de l’inexistence de l’État, incapable de financer ses fonctions régaliennes. Dans le second, l’activité économique s’effondrerait, car une imposition maximale annihilerait l’activité économique et donc toute base taxable. Cette analyse souligne que les décisions de prélèvement fiscal ne doivent pas se décréter à l’aveuglette ou à travers une baguette magique. Le mécanisme d’imposition, qu’il soit sur les produits locaux ou sur les importations, requiert une certaine prudence et surtout des recherches approfondies pour ne pas causer des effets pervers aux dynamiques socioéconomiques. De nombreux travaux analysant les avantages du commerce considèrent comme inappropriée la menace de barrières commerciales lors des négociations ainsi que l’usage des tarifs pour protéger les industries domestiques (Laffer, 2020).

L’ère de la persécution commerciale 

Depuis son intronisation à la Maison Blanche le 20 janvier 2025, le président Américain dans sa chimère MAGA fait feu de tout bois en s’appuyant sur un levier économique particulier, les tarifs douaniers. Sans exception, Donald Trump nourrit des relations toxiques en proférant des menaces envers toutes les économies, grandes ou petites, qui échangent avec les États-Unis. Dans un premier temps, il avait ciblé ses partenaires de l’ACEUM (Mexique et Canada) et la Chine en envisageant des taxes de 10% à 25% sur des produits comme l’acier, l’aluminium et les véhicules (Voir article Le Monde). Pourtant, à eux seuls, ces trois États sont responsables de 40% des importations américaines. Dans un prétexte de protectionnisme fougueux exprimé en des deals asymétriques et en des vœux capricieux, Donald Trump croit que cette stratégie de chantage tarifaire contribuera à relocaliser les industries des secteurs manufacturier et industriel en Amérique. Une thèse dénuée de sens dans les lunettes des adeptes de la thèse d’Arthur Laffer, car à ce stade d’une globalisation consolidée par les avancées technologiques, les échanges rapprochent graduellement les pays, comme dans un village commun habité par huit milliards de voisins.

Les inquiétudes et les chocs provoqués par les ripostes vis-à-vis de cette guerre commerciale déclarée contre ces pays partenaires avaient fait rétracter le président, en avril dernier. Une période de renégociation de trois mois s’imposait pour tenter de remettre à l’heure les pendules de la coopération économique. Ce temps étant écoulé, les États-Unis promettent de continuer de ridiculiser les lois économiques et les règles commerciales internationales. Au début de ce mois de juillet, Donald Trump revient à la charge dans son projet mort-né de « Liberation Day ». Il menace à nouveau d’appliquer à partir du 1er août prochain des droits de douane exagérés sur les importations de ses partenaires commerciaux. Dans son viseur, une vingtaine de partenaires commerciaux particulièrement de l’Asie à qui il prévoit d’imposer des taux de 20 % à 40 % selon le produit. Envers le Canada et l’Union européenne, il fixe manu militari des droits de douane respectivement de 35 % et de 30%. Par crainte de sanctions mais aussi en acceptant le risque d’une récession, une liste de pays incluant le Japon, l’Indonésie et le Vietnam ont déjà plié aux pressions de surtaxes douanières des USA (Voir Le Figaro). 

Même sans leur mise en œuvre effective, l’annonce de tels tarifs douaniers suffit à susciter des tensions et à déclencher une série de représailles. Sans conteste, les pays étrangers menacés par les mesures protectionnistes américaines réagiront en érigeant à leur tour des barrières tarifaires. Cette dynamique de rivalités commerciales risque de troubler profondément plusieurs secteurs clés, notamment l’électronique et le textile. De nombreuses analyses alertent déjà sur les changements dans les coûts de transport, les routes commerciales, les prix des produits avec des répercussions néfastes pour le commerce transatlantique.

Le Scorpion mordant sa propre queue

Au mois de février de cette année, la querelle des tarifs entre les États-Unis et la Chine a illustré que c’est toute l’économie mondiale qui dessine une allure inquiétante en dehors du contrôle de la fixation des tarifs douaniers. Retraçant la genèse de ce conflit commercial qui remonte au premier mandat de Trump, Benoit de Lavignère explique que l’Union européenne, dépendant de ses deux partenaires commerciaux, en ferait les frais à long terme. Cet épisode a rappelé que dans un monde interdépendant, il ne peut y avoir de gagnant dans une guerre commerciale. Au lieu de faire fructifier une économie, les tarifs surélevés décrétés sur les produits entrant aux États-Unis ne rendront pas à « Make America Great Again ». Tandis que s’impose le temps du fairplay et du Fairtrade afin de mieux garantir la création et la distribution de la richesse, les accords commerciaux asymétriques envisagés par l’Amérique portent des gênes perturbatrices. Dans sa monomanie excessive, Donald Trump ignore le signal d’alarme des économistes et des entrepreneurs des milieux des affaires sur les potentielles retombées négatives de ses décisions tarifaires sur l’économie globale. 

Les mesures tarifaires annoncées par Donald Trump sont susceptibles de contribuer à des déficits et des crises économiques au détriment de tous. Comme l’illustrent Cavallo et al. (2021) dans l’analyse de l’impact des droits de douane imposés lors de la première administration Trump en 2018, les tarifs finissent par être répercutés à moyen et à long terme sur le consommateur américain. De nombreuses études préviennent déjà sur le risque d’une spirale infernale alliant chômage et inflation pour les États-Unis. Pire, en l’absence d’une prise de conscience pour revenir sur les mesures tarifaires, les postures commerciales réciproques risquent de porter gravement préjudice à l’agro-industrie américaine, largement dépendante des marchés émergents d’Asie pour ses exportations.

La littérature sur la fiscalité souligne l’importance pour que les régimes de tarification s’appliquent avec prudence afin de ne pas nuire aux dynamiques des échanges commerciaux (Kleven et al., 2020). Le respect des procédures régissant la régulation et les ententes commerciales multipartites mises en œuvre par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’avère avantageux pour les USA et ses partenaires. Lorsque les tarifs ne sont pas fixés selon les règles commerciales en vigueur, ils peuvent perturber la compétitivité, particulièrement au sein des économies qui nécessitent une forte intensité capitalistique. N’est-ce pas la nature intrinsèque de l’économie américaine ? En plus de percevoir une utopie dans la politique de hausse cavalière de tarifs douaniers pour soi-disant ramener les emplois manufacturiers et industriels aux États-Unis, plusieurs économistes redoutent une récession économique à l’horizon. 

Le monde a traversé une période difficile durant laquelle les décisions tarifaires hâtives et improvisées du gouvernement américain ont profondément affecté les échanges commerciaux en provoquant de la panique sur les marchés financiers. Les crispations économiques engendrées par le conflit commercial sino-américain au cours des mois de février à mars 2025 – induisant des niveaux tarifaires sans conteste inefficients – devraient servir d’expérience pilote pour freiner cette course vers des crises économiques. Lors du bras de fer entre les USA et la Chine qui annonçaient et ripostaient en des taux de tarification de 100% à 125% sur certains produits essentiels, les marchés boursiers – véritable baromètre de l’économie – avaient surchauffé, car ceux-ci ne vivent pas de scandale. Des méga-sociétés de la technopole américaine avaient vu leurs actions chuter drastiquement en un temps record, causant des pertes financières colossales. 

Ces expériences regrettables devraient enseigner les décideurs qu’une posture prudentielle est essentielle pour éviter des turbulences dans les systèmes économiques. Les tarifs douaniers, à l’image de tout autre type de taxe, sont des instruments de politique économique aptes à assurer l’équilibre entre le financement des services publics et l’incitation à l’activité économique. Cependant, un mauvais usage est capable de déranger les relations commerciales et causer des chocs sévères au niveau des économies. Espérons que le président américain n’attendra cesse de nourrir de telles hostilités qui sapent la stabilité de l’économie mondiale.     

Carly Dollin

carlydollin@gmail.com

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Références 

  • Atkinson, A. B. (2015). Inequality: What can be done? In Inequality. Harvard University Press.
  • Calì, M., Hollweg, C. H., & Ruppert Bulmer, E. N. (2015). Seeking shared prosperity through trade. World Bank Policy Research Working Paper, (7314).
  • Cavallo, A., Gopinath, G., Neiman, B., & Tang, J. (2021). Tariff pass-through at the border and at the store: Evidence from us trade policy. American Economic Review: Insights, 3(1), 19-34.
  • Contractor, F. J. (2025). Assessing the economic impact of tariffs: adaptations by multinationals and traders to mitigate tariffs. Review of international business and strategy, 35(2/3), 190-213.
  • Domitrovic, B. (2021). The Laffer Curve. In The Emergence of Arthur Laffer: The Foundations of Supply-Side Economics in Chicago and Washington, 1966–1976 (pp. 175-203). Cham: Springer International Publishing.
  • Easson, A. (2004). Tax incentives for foreign direct investment. Kluwer Law International.
  • Kleven, H., Landais, C., Muñoz, M., & Stantcheva, S. (2020). Taxation and migration: Evidence and policy implications. Journal of Economic Perspectives, 34(2), 119-142.
  • Kransdorff, M. (2010). Tax incentives and foreign direct investment in South Africa. Consilience, (3), 68-84.
  • Laffer, A. B. (2020). Reflections on economic policy. Business Economics, 55(1), 41-44.
  • Musgrave, R. A. (2002). Equity and the case for progressive taxation. Tax justice: the ongoing debate, 9-24.
  • Piketty, T. (2014). Capital in the twenty-first century. Harvard University Press.
  • Piketty, T., & Cantante, F. (2018). Wealth, taxation and inequality. In Reducing Inequalities: A Challenge for the European Union? (pp. 225-239). Cham: Springer International Publishing.
  • Seelkopf, L., & Lierse, H. (2017). Taxation and inequality: how tax competition has changed the redistributive capacity of nation-states in the OECD. In Welfare state transformations and inequality in OECD countries (pp. 89-109). London: Palgrave Macmillan UK.
  • Tanzi, V., & Shome, P. (1992). The role of taxation in the development of East Asian economies. In The political economy of tax reform (pp. 31-65). University of Chicago Press.
  • Villela, L. A., & Barreix, A. D. (2002). Taxation and Investment promotion. Inter-American Development Bank (IDB).

Articles de presse 

  • “Le Canada, le Mexique et la Chine s’opposent aux nouvelles taxes américaines et répliquent”. Le monde, publié le 02 février 2025.
  • « Droits de douane : quels pays ont déjà signé un accord commercial avec Donald Trump ? ». Par Julien Da Sois, Le Figaro, publié le 24 juillet 2025.
  • La guerre commerciale sino-américaine et ses implications pour l’Union européenne. Par Benoit de Lavignère ; Portail de l’Intelligence économique ; publié le 14 avril 2025

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