2 octobre 2025
Référendum sous l’ombre des fusils M4/AR-15: qui votera en Haïti en 2025 ?
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Référendum sous l’ombre des fusils M4/AR-15: qui votera en Haïti en 2025 ?

L’Edito du Rezo

Armes lourdes et urnes vides : Haïti peut-elle encore organiser des élections générales ? La tenue d’un scrutin crédible exige, à tout le moins, la sécurisation effective du territoire national, l’accès égal des citoyens à l’exercice du vote, et l’existence d’une autorité électorale indépendante, fonctionnelle et légitimée. Or, aucune de ces conditions n’est aujourd’hui réunie.

La scène, tirée d’une vidéo enregistrée mardi à Liancourt, montrant un individu brandissant un fusil d’assaut de type M4/AR-15 dans l’espace public haïtien, ne relève nullement de la fiction militaire. Elle incarne au contraire une manifestation concrète de l’effondrement institutionnel, marqué par la perte graduelle du contrôle de l’État sur des portions entières du territoire national, désormais administrées de facto par des entités armées. Cette situation se déploie sous le regard complaisant d’un appareil étatique qui feint de combattre l’insécurité, alors même que, selon un rapport de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), certains de ses membres sont soupçonnés de collusion active avec les groupes criminels.

Ce constat, étayé par les rapports récents du Groupe d’experts des Nations unies (S/2023/274) ainsi que par les observations convergentes de plusieurs instances internationales, soulève une interrogation fondamentale et désormais incontournable : dans un territoire national fragmenté, où la souveraineté républicaine a cédé la place à la domination armée, l’organisation d’élections générales conserve-t-elle encore un sens juridique et politique ?

Depuis 2018, l’État haïtien a reculé face à la montée en puissance de coalitions criminelles disposant d’un armement équivalent à celui de forces régulières : fusils M4, AR-15, AK-103, grenades, radios cryptées. À Cité Soleil, Martissant, Croix-des-Bouquets ou Gressier, La Chapelle, les territoires dits “perdus” sont devenus des zones d’exception, où aucune autorité électorale, aucun candidat, aucun représentant étatique ne peut circuler sans autorisation de facto d’un chef de gang. Ce morcellement territorial signifie qu’une part importante de la population ne pourra participer librement à un scrutin. Or, le suffrage universel, libre, égal et secret, est une norme intangible consacrée tant par la Constitution haïtienne de 1987 (art. 58, 66, 149) que par les conventions régionales, telles que la Convention américaine relative aux droits de l’homme (art. 23).

Dans un contexte de fragmentation territoriale et d’effondrement sécuritaire, les élections projetées pour 2025 peuvent-elles encore être qualifiées de processus démocratique, ou ne constituent-elles qu’un simulacre institutionnel destiné à répondre aux injonctions des partenaires internationaux et à préserver les intérêts des élites économiques ? Qui, concrètement, pourra déployer une campagne électorale dans les zones sous contrôle armé ? Quelle architecture logistique peut être envisagée dans des circonscriptions où les bureaux de vote demeurent inaccessibles depuis plusieurs années, et où les agents électoraux sont régulièrement l’objet de menaces ou d’agressions ?

Dans ces conditions, la problématique n’est plus simplement technique ou administrative : elle engage des enjeux fondamentaux de nature juridique, éthique et politique.

Face à l’incapacité manifeste de l’État à rétablir son autorité sur l’ensemble du territoire national, certains acteurs politiques suggèrent la tenue d’élections partielles ou « zonées », limitées aux espaces considérés comme « sécurisés ». Toutefois, une telle approche reviendrait à formaliser l’exclusion territoriale et sociale de vastes segments de la population haïtienne, en instaurant une citoyenneté à géométrie variable. En d’autres termes, seuls les citoyens résidant dans des zones sous contrôle étatique pourraient exercer leur droit de vote, au détriment de ceux confinés dans les espaces dominés par les groupes armés.

Cette démarche contrevient au principe du suffrage universel et égal — pierre angulaire de toute démocratie représentative — et porte atteinte à l’égalité devant la loi, telle que garantie par la Constitution haïtienne (art. 58 et 66) ainsi que par les engagements internationaux d’Haïti, notamment l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. En outre, elle installe une jurisprudence dangereuse, selon laquelle l’organisation électorale peut tolérer, voire entériner, la perte de souveraineté sur une portion du territoire national.

Cette même logique d’exclusion a été esquissée lors des tentatives avortées de référendum constitutionnel en 2021, conduites sans base légale valable, en contradiction flagrante avec l’article 284-3 de la Constitution, qui prohibe expressément toute révision par voie référendaire. L’idée d’un référendum ou d’un scrutin général sans pleine inclusion territoriale revient à substituer à la souveraineté populaire une légitimation partielle et artificielle du pouvoir, construite sur l’exclusion et la peur.

L’organisation d’élections véritablement générales suppose la réunion de trois conditions indissociables : la restauration de la sécurité sur l’ensemble du territoire, la garantie de l’égalité de participation pour tous les citoyens, et la crédibilité d’un organe électoral indépendant, opérationnel et doté des moyens nécessaires à l’exercice de son mandat. Or, à ce jour, aucune de ces conditions n’est remplie.

Toute tentative d’organiser un scrutin dans un tel vide institutionnel ne ferait qu’aggraver la dislocation du lien civique et la défiance envers l’État, accentuant ainsi le cycle de légitimité brisée dans lequel Haïti est enfermée depuis plus d’une décennie. Il devient dès lors impératif de penser un mécanisme transitoire alternatif, fondé sur la concertation nationale, une représentation territoriale décentralisée et des garanties internationales crédibles, permettant à terme la reconstruction du processus électoral sur des bases solides et inclusives.

À défaut, les élections projetées ne seraient qu’un exercice de façade, dont les résultats, obtenus dans la contrainte ou l’irrégularité, seraient contestés tant sur le plan interne qu’au niveau du droit international. L’enjeu ne se limite plus à l’organisation d’un vote, mais concerne la possibilité même d’une souveraineté populaire effective. En Haïti, le retour aux urnes ne saurait précéder le retour à l’État de droit.

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