L’Edito du Rezo
Frinel Joseph, référendum et imposture républicaine
Le dernier communiqué du Conseil présidentiel de transition (CPT), relatif à l’annulation du voyage du pasteur Frinel Joseph en Amérique latine et en Amérique du Nord, démontre à lui seul les errements juridiques et les contradictions stratégiques d’un pouvoir sans légitimité démocratique. Ce déplacement devait servir à vulgariser un avant-projet bidon de Constitution, pourtant explicitement prohibé par l’actuelle Constitution de 1987, qui interdit toute tentative unilatérale de changement par voie de référendum (articles 284 et 284.1). L’idée qu’un fonctionnaire non élu – venu d’ailleurs – puisse, au nom d’un CPT ex nihilo, d’engager le pays sur une voie juridico-politique illégale révèle une dérive autoritaire sans précédent.
Ni Frinel Joseph- homme des dieux d’Amérique pour effacer l’oeuvre de 1987 -, ni Leslie Voltaire – architecte de l’Aéroport international des Cayes -, ni Alix Didier Fils-Aimé – sénateur raté et touriste improvisé -, ni nul autre ne saurait se prévaloir d’un mandat populaire ou légal pour refondre un ordre constitutionnel en vigueur.
L’État de droit, déjà malmené, est désormais menacé de mise à mort symbolique et institutionnelle.Le caractère laconique du communiqué du CPT, publié mercredi soir pour justifier l’annulation de la mission de « gaspillage de fonds publics », trahit une fuite en avant : « attentif aux préoccupations de la population » mais résolu à promouvoir, dans le même souffle, « les nouvelles technologies de communication », comme si la virtualité pouvait compenser l’illégalité.
Cette posture, à la fois confuse et vide de substance, atteste d’un déficit grave de communication politique et d’un refus d’assumer la réalité du rejet populaire. La prétention à gouverner « avec discernement », alors même que l’on nie la souveraineté populaire et les fondements constitutionnels, relève d’un double discours qui désarme toute crédibilité. La pauvreté du langage gouvernemental accompagne ici la pauvreté de l’action.
Plus grave encore est l’intention avouée d’utiliser les services diplomatiques et consulaires haïtiens pour promouvoir ce projet vicié auprès de la diaspora. Une diaspora que l’État haïtien n’a cessé de négliger, sinon de taxer à travers les frais de passeport, souvent détournés sans contrôle ni reddition. Ces représentations consulaires, loin de protéger les droits des citoyens haïtiens à l’étranger, se sont réduites à des guichets lucratifs, où la corruption rivalise avec l’inefficacité. Aucun programme social, aucun cadre d’écoute structuré, aucune politique d’intégration institutionnelle n’a été déployé envers cette population essentielle à l’économie nationale. L’indignité atteint son comble lorsqu’on prétend instrumentaliser cette communauté pour légitimer un processus contraire à la légalité constitutionnelle.Ce simulacre d’engagement extérieur se déroule pendant que les gangs armés sévissent en plein jour sur le territoire national, comme à Saut-d’Eau, Marchand-Dessalines… tandis que certains officiels paradent à Washington, sous couvert de coopération ou d’alliances imaginaires.
D’un côté, les « gangs à sandales » s’emparent du territoire ; de l’autre, les « gangs à cravate » consolident leur pouvoir par des manœuvres internationales. Cette juxtaposition de deux visages du pouvoir – l’un brutal, l’autre raffiné – traduit la réalité d’une gouvernance fractionnée, inepte, et profondément déconnectée du sort du peuple haïtien. La tentative de tenir un référendum en dehors du cadre constitutionnel est non seulement illégale, mais politiquement suicidaire. Elle doit être stoppée.