Les CEP mort-nés : entre diplomatie de façade et échec structurel, de la réunion à la répétition
À contempler les images méticuleusement mises en scène des séances du Conseil Électoral Provisoire (CEP) — fauteuils capitonnés, mines compassées, atmosphère feutrée de délibération — l’observateur distrait pourrait se laisser convaincre de l’existence d’une institution opérationnelle, engagée avec sérieux dans la préparation d’un rendez-vous démocratique majeur. Cette illusion visuelle, pourtant, se heurte frontalement à la vacuité structurelle d’un appareil électoral dont l’inertie semble désormais chronique. Depuis la clôture du processus électoral de 2016, aucun CEP ne s’est montré capable de mener à terme l’ensemble des opérations électorales, depuis l’inscription des électeurs jusqu’à la proclamation officielle des résultats sans contestation. Les Conseils se succèdent, les promesses de calendrier se multiplient, les conférences de presse rythment l’actualité… mais l’acte souverain du vote demeure absent, comme suspendu hors du réel.
Or, à cette paralysie s’ajoute une dérive préoccupante : aucun CEP, depuis l’adoption de la Constitution de 1987, n’a jamais reçu mandat d’organiser un référendum. Pourquoi, alors, normaliser une telle entorse institutionnelle en 2025 ? S’agit-il véritablement d’un pas vers l’avenir démocratique ou assistons-nous, à bas bruit, à une régression constitutionnelle ? La question demeure pendante, grave, et engage toute la légitimité du processus politique en cours.
D’août 2020 à juillet 2025, plusieurs Premiers ministres de facto se sont relayés, chacun annonçant, avec emphase, la mise en place d’un CEP « inclusif » et « crédible ». Rires. En septembre 2020, Joseph Jouthe se félicitait d’un échange avec les nouveaux membres du CEP pour leur témoigner, disait-il, « au nom du Gouvernement, [son] support et [sa] solidarité ». Quelques semaines plus tard, Claude Joseph, alors ministre des Affaires étrangères, proclamait après des échanges avec le Département d’État américain que « Haïti est déterminé à former un nouveau CEP », censé élargir la participation des acteurs nationaux. En 2021, Ariel Henry promettait à son tour un CEP impartial et une administration assainie. En 2023, il annonçait la désignation prochaine de personnalités « crédibles » chargées de conduire une consultation populaire et des élections générales. Enfin, en juillet 2025, Alix Didier Fils-Aimé, sélectionné comme Premier ministre par le Conseil Présidentiel de Transition après l’ère de l’enfant gâté des Clinton, enchaîne les gestes symboliques : visite au CEP, promesse d’élections crédibles, finalisation annoncée d’un décret référendaire. Pourtant, comme tous ses prédécesseurs, il hérite d’un CEP mort-né — et n’accouche d’aucune élection.
Le Conseil Électoral Provisoire — créé pour une mission temporaire — est désormais une institution fantôme au mandat perpétuellement inachevé. La déclaration d’Ariel Henry selon laquelle « aucun camp ne sera favorisé » démontre cette tentative récurrente de conférer un vernis d’impartialité au processus. Quant à Fils-Aimé, le one man show en attente de Laurent Saint-Cyr pour l’accaparement de l’Exécutif haitien, par les entrepreneurs, sa visite du 1er juillet 2025, accompagnée du ministre délégué aux questions électorales sans adresse, se veut stratégique. Mais elle s’inscrit dans un schéma connu : promesse d’ouverture de BED et BRD, intégration d’outils technologiques, communication sur les « visites régionales » — autant d’éléments évoqués par chaque gouvernement sans qu’un processus électoral complet ait pu être mené à terme.
Les réunions comme celle illustrée dans les images diffusées par les intéressés pour la consommation de l’international — où des officiels haïtiens et des représentants étrangers discutent à huis clos — traduisent le décalage entre diplomatie de façade et réalité institutionnelle. Ces rencontres, présentées comme des avancées vers des élections, fonctionnent aujourd’hui comme des alibis diplomatiques. Elles donnent l’illusion d’un processus en cours, alors qu’aucun cadre légal stable, aucun climat sécuritaire, ni consensus politique n’existent pour garantir la tenue d’un vote.
Le CEP, en tant qu’institution, ne peut plus être analysé uniquement comme une entité technique. Il est devenu un objet politique, une plateforme de reconduction du statu quo. Un audit citoyen et international, incluant l’évaluation des ressources investies, des promesses non tenues, et des recommandations structurelles, est aujourd’hui indispensable pour sortir de ce cycle de défaillances programmées.
cba




