8 octobre 2025
Où s’est fourvoyé l’héritier du trône du CPT, absent depuis le 23 juin ?
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Où s’est fourvoyé l’héritier du trône du CPT, absent depuis le 23 juin ?

L’Edito du Rezo

On en viendrait presque à croire qu’en Haïti, l’une des plus fines preuves de maîtrise politique consiste à s’effacer avec élégance. M. Laurent Saint-Cyr en est désormais l’un des plus brillants praticiens. Propulsé comme figure centrale de l’Accord mort-né du 21 décembre — ce document à la texture flasque, cousu de promesses flétries avant même d’avoir germé — le voici toujours au cœur du dispositif transitoire, contrairement à l’Accord du 3 avril, tel un roi sans couronne mais avec prétention au trône.

Aspirant au fauteuil nébuleux du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), il incarne cette aristocratie républicaine nouvelle manière, dont l’ascension ne repose ni sur la parole tenue, ni sur la mémoire des faits, mais sur un art consommé de la disparition au moment opportun… suivie d’une réapparition sans justification.

Le 23 juin 2025, un communiqué au ton mesuré mais cérémonieux, émanant du Bureau de la Présidence, annonçait que M. Saint-Cyr, pardon Son Excellence, s’était envolé pour Londres. Destination : Chatham House, l’un de ces sanctuaires où se parle le monde, où les concepts planent au-dessus des réalités brutes, et où l’on disserte avec componction sur des tragédies distantes, bien à l’abri des klaxons de Port-au-Prince.

Selon les termes soigneusement calibrés de ce document, le Conseiller-Président devait intervenir sur « la crise sécuritaire et institutionnelle » en Haïti et plaider pour un soutien accru à la MSS – cette mission multinationale qu’on évoque désormais avec autant de ferveur qu’un plan de réforme oublié dans un tiroir verrouillé. Une mission noble, sans conteste. Noble comme les formules diplomatiques, noble comme les tapis rouges du déclin.

Et pourtant… depuis ce 23 juin, un mutisme impeccable. Pas une ligne supplémentaire. Pas une note d’information, pas même un murmure officiel. Aucune image captée en coulisse, aucun cliché de circonstance, aucun extrait de discours. Ni justification, ni désaveu. Juste ce vide parfaitement orchestral, rythmé par l’inertie et protégé par le confort des non-dits. Ni la Présidence, ni le Secrétariat privé du Conseiller-Président n’ont daigné publier un rapport, un compte rendu. Pas même un tweet. Ce que la République attend, c’est pourtant bien peu : une preuve de vie politique. Car dans le monde moderne, où tout déplacement diplomatique se documente à coups de photographies, une absence prolongée s’apparente à une désertion symbolique.

Mais la Nation, elle, attend. Ou, du moins, elle feint encore d’observer. Car peut-être, dans les méandres de cette transition sans boussole, le silence est devenu la plus haute forme d’expression du pouvoir. Une gouvernance par soustraction. M. Saint-Cyr, lui, ne répond qu’à l’ombre de celui — ou de celle — qui l’a un jour, depuis la Jamaique, désigné « chef » en Haïti. La souveraineté populaire ? Un accessoire d’apparat, une résonance creuse dans l’écho amorti des décisions prises entre portes closes.

Pendant ce temps, le secteur privé, tapi autrefois derrière les rideaux, prend désormais la lumière sans pudeur. Le théâtre n’a plus besoin de coulisses : les marionnettistes sont montés sur scène. Alix Didier Fils-Aimé, figure parmi d’autres du grand capital silencieux, n’a plus besoin d’émissaires. Il tient la maillette, distribue les enveloppes, maîtrise les réseaux sociaux et inspire le respect — ou la crainte — là où l’autorité publique s’est dissoute. Mais que construit-il ? Rien. Pas une école digne de ce nom, pas un hôpital d’entreprise, pas un seul espace culturel portant leur empreinte. Les rares infrastructures fonctionnelles sont des ports privés, des entrepôts sous douane, et quelques hangars à cargaisons suspectes tankou yon bato dwòg sikre. L’histoire économique se lit dans les rapports de police.

Dans cet entre-deux où l’absence devient programme ou vacances à l’étranger, M. Saint-Cyr brille — non par ses actes, mais par son effacement. Il est là, quelque part, suspendu entre le brouillard de Londres et le mutisme local. A-t-il bien assisté à la conférence annoncée ? C’est ce que le communiqué affirmait. Mais six jours ont passé, et depuis : aucune trace, aucune foto, aucun propos rapporté. Est-il toujours en mission ? A-t-il changé de continent ? S’est-il égaré dans un salon discret à la Tour de Londres ? En voyage d’étude ou en congé prémédité ? Nul ne sait, et surtout, nul ne demande. L’opacité est devenue un mode de fonctionnement.

Dans toute démocratie qui se respecte, un terme qui ne s’applique pas à nous, un représentant parti en mission s’acquitte, au retour, d’un minimum de redevance civique : un rapport, une déclaration, une photo, ne serait-ce qu’un signe. Il témoigne, il informe, il rend compte. Ici, c’est l’inverse : on s’éclipse, on s’abstient, on s’abrite derrière le flou. Et l’on espère que le silence se substituera à la responsabilité, que le vide tiendra lieu de bilan. Mais l’amnésie nationale a ses limites. Car si l’oubli a longtemps été un pilier officieux du régime, il arrive que le souvenir remonte, inattendu, comme un reflux. Et même les mémoires dites « côte » — ces mémoires supposées abîmées, détournées, inertes — finissent, parfois, par réclamer une explication.

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