Le référendum de 1918, une élection sous occupation
Haïti organise son tout premier référendum constitutionnel de toute son histoire, le 12 juin 1918, dans un contexte politique totalement dominé par l’occupation militaire américaine. Depuis la dissolution forcée du Parlement en 1917, le pouvoir exécutif, dirigé par le président Philippe Sudré Dartiguenave sous l’influence directe des autorités américaines, n’a plus de contrepoids institutionnel. Pour faire adopter une nouvelle Constitution favorable aux intérêts étrangers, notamment en matière de propriété foncière, l’option d’un référendum populaire est choisie, en dépit des conditions de liberté et de représentativité exigées par un tel exercice.
Officiellement, le résultat du scrutin est sans appel : 98 294 voix favorables contre seulement 769 « non ». Avec un taux d’approbation de 99 %, ce vote est présenté par les autorités de l’époque comme l’expression claire de la volonté nationale. Pourtant, de nombreux témoins et historiens s’accordent à souligner l’écart entre ces chiffres officiels et la réalité du terrain : la participation effective est estimée à moins de 5 % de la population, dans un pays sous contrôle militaire étranger, sans débat démocratique ni pluralisme politique.
Les conditions dans lesquelles ce référendum s’est tenu jettent une ombre sur sa légitimité. L’organisation du scrutin s’est accompagnée d’arrestations ciblées, de censure de la presse locale, et d’une présence armée omniprésente. Ce climat d’intimidation a réduit le vote à une formalité administrative, vidée de sa substance démocratique. Plus d’un siècle plus tard, le référendum de 1918 demeure un exemple historique de manipulation du suffrage populaire au service d’intérêts étrangers, dans un contexte de souveraineté suspendue.
24 juin 2025, le CPT ex nihilo annonce un référendum constitutionnel contesté, écho au passé
Plus d’un siècle plus tard, Haïti se trouve de nouveau confrontée à une tentative de réforme constitutionnelle. Le 24 juin 2025, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), dirigé par Fritz Alphonse Jean, a annoncé la tenue d’un référendum constitutionnel, ravivant les débats sur la légitimité du processus.
Cette annonce intervient dans un contexte politique et sécuritaire instable, suscitant une opposition massive au sein de la société civile et d’une majorité d’Haïtiens. Des organisations telles que l’Éveil du Grand Sud (EGS) protestent vigoureusement, dénonçant un projet inconstitutionnel, car contraire aux procédures prévues par la Constitution de 1987, et soulignant l’absence de consultation démocratique préalable. Le Réseau Haïtien des Journalistes Anti-Corruption (RHAJAC) qualifie quant à lui ce projet de « haute trahison », rappelant notamment l’interdiction constitutionnelle de modifier la loi fondamentale par référendum selon l’article 284.3.
D’autres voix politiques, comme celle de l’ancien député Jerry Tardieu, critiquent les risques d’exclusion et d’un fédéralisme non conforme au cadre légal. L’opposition au projet s’inscrit ainsi dans la continuité d’une contestation historique des pratiques politiques non démocratiques, à l’image de celles qui ont accompagné le référendum imposé de 1918.
Cette comparaison souligne la persistance des tensions autour du respect de la souveraineté populaire et de la transparence des processus constitutionnels en Haïti.
sources: Congressional Record (1917), volumes consultés via archives numériques et bibliothèques universitaires.
cba