De la dictature à la transition : même arrogance, même sort
Le pouvoir, disait Montesquieu, est une épreuve du caractère. Il révèle plus qu’il ne transforme. Et en Haïti, l’épreuve est implacable : de 1957 à 2025, peu de dirigeants ont échappé à la malédiction du pouvoir sans mémoire, sans limites, sans compassion. Pourtant, la mémoire collective, elle, se souvient. Elle inscrit dans les marges de l’histoire ceux qui ont gouverné sans rendre de comptes, ceux qui ont confondu autorité avec prédation, et souveraineté avec impunité.
Jean-Claude Duvalier incarne cette tragédie du pouvoir déchu. Rarement un chef d’État haïtien aura autant captivé l’attention médiatique, attiré les regards internationaux, symbolisé à lui seul l’excès d’un système politique personnifié. De son vivant, il fut président à vie, entouré de faste, de peur et de silence complice. Et pourtant, c’est dans l’indifférence presque glaciale qu’il mourut en 2014. Aucune salve d’honneur, aucun deuil national digne de ce nom, aucune reconnaissance officielle. Ce détail n’est pas anodin : son cercueil, recouvert non du noir et rouge des Duvalier, mais du bleu et rouge de la République, signalait avec ironie et fatalité que même la symbolique nationale refusait d’assumer son héritage.
Ceux qui gouvernent aujourd’hui devraient méditer cette fin. À commencer par les neufs membres du Conseil présidentiel de transition (CPT), dont certains noms sont désormais associés, non pas à des réformes ou à un sursaut républicain, mais à des soupçons graves, comme dans l’affaire du braquage institutionnel à la Banque nationale de crédit (BNC). Gouverner en période d’exception n’exonère pas du respect du droit. L’Article 17 de la Constitution haïtienne stipule que « tout agent public est responsable de l’usage des fonds publics qu’il administre ». La responsabilité n’est donc pas simplement politique, elle est aussi morale, historique et parfois pénale.
Il faut le dire avec empathie, mais sans complaisance : ce pays, épuisé par la mauvaise gouvernance, ne pardonnera plus les abus. La disparition récente du père de l’ex-Première dame Sophia Martelly aurait pu être l’occasion pour l’État d’afficher un minimum de respect républicain, au nom de la mémoire, au nom du rang qu’elle occupa jadis. Ce silence officiel, cette indifférence publique disent tout du mépris réciproque qui s’est installé entre les gouvernants et les gouvernés. Même le deuil est devenu politique.
Alors, à quoi bon occuper le sommet de l’État, si ce n’est pour servir ? Si ce n’est pour laisser une trace digne ? Ceux qui abusent aujourd’hui du pouvoir doivent se souvenir que toute fonction a une fin, que tout mandat a une date d’expiration. La gloire est éphémère, la mémoire nationale est tenace. Et la postérité ne garde que ce qui fut juste, équitable, humain.
On ne gouverne pas impunément. Les institutions peuvent être fragiles, les justices parfois absentes, mais l’Histoire, elle, juge. Elle ne conserve que ce qui mérite de l’être. Et le reste, elle le relègue. Dans les poubelles de l’Histoire, comme Duvalier. Comme tant d’autres. A moins que vous ne changiez de cap. Faites-le maintenant ! Partez pour le bien de la patrie ! Et fichez-nous la paix avec votre référendum interdit.
cba
