30 décembre 2025
Haïti 2025 : Plus de 2700 morts, aucune justice, mais un référendum et une amnistie en perspective
Actualités Société

Haïti 2025 : Plus de 2700 morts, aucune justice, mais un référendum et une amnistie en perspective

Qui triomphe? Le peuple ou l’impunité institutionnelle ?

Depuis le début de l’année 2025, les données du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme évoquent plus de 2 700 morts violentes en Haïti, un chiffre glaçant qui vient s’ajouter aux milliers de victimes des années précédentes, notamment sous les administrations de Jovenel Moïse (2020–2021) et Ariel Henry (2021–2023). Cette spirale de violences, nourrie par la prolifération des gangs armés et la faillite persistante de l’État à garantir l’ordre public, n’a pourtant suscité, jusqu’à présent, ni enquête judiciaire rigoureuse, ni acte d’accusation, ni condamnation pénale crédible.

Dans ce vide institutionnel tragique, deux propositions avancées dans les cercles diplomatiques dominent l’agenda international : un référendum constitutionnel et une éventuelle amnistie accordée aux acteurs armés. Ces deux instruments, censés ouvrir une issue à la crise, interrogent gravement les fondements de la justice transitionnelle, de la souveraineté populaire et du droit international des droits humains.

Le Secrétaire général adjoint de l’Organisation des États américains (OEA), Albert Ramdin, a récemment ouvert la voie à un dialogue dit « inclusif », en n’excluant pas la possibilité d’une amnistie pour les chefs de gangs. Une telle perspective, sans la moindre exigence de vérité, de réparation ou de responsabilité pénale, vient heurter de front les principes du droit international.

Elle entre également en contradiction avec la jurisprudence constante des organes régionaux de protection des droits de l’homme, selon laquelle les États ne peuvent, sans violer leurs obligations internationales, accorder l’impunité pour des crimes graves contre la personne humaine. Si, dans des contextes exceptionnels, l’amnistie peut être envisagée comme un outil de transition, elle ne saurait se substituer à une justice fondée sur l’établissement des responsabilités et l’indemnisation des victimes.

Parallèlement à cette proposition, le Conseil présidentiel de transition (CPT), sous l’impulsion d’acteurs internationaux, poursuit les préparatifs d’un référendum constitutionnel, prévu pour novembre 2025. Ce projet, hérité d’une initiative présidentielle de 2020 contestée et jamais validée par un organe législatif, se voit aujourd’hui relancé sans garanties d’un processus participatif, libre et sécurisé. Il soulève des préoccupations majeures du point de vue de la légalité procédurale.

En l’absence d’un Parlement fonctionnel, d’un Conseil électoral indépendant, et d’un climat minimal de sécurité, convoquer le peuple à ratifier un texte constitutionnel rédigé en dehors de tout cadre démocratique soulève une double problématique : celle de la légitimité de l’acte et celle de l’opportunité politique dans un contexte de terreur armée.

Dans cette configuration, la juxtaposition d’un projet de référendum constitutionnel et d’une amnistie négociée révèle une architecture diplomatique profondément déconnectée des impératifs du droit haïtien et des exigences morales qui découlent des drames collectifs récents. Loin de constituer une sortie de crise, cette orientation risque d’ériger en norme une culture de l’impunité structurante, au détriment du principe de responsabilité individuelle.

Elle insinue également une hiérarchisation implicite des victimes : celles dont les voix sont inaudibles dans les bidonvilles, les camps ou les quartiers assiégés par des bandes criminelles, seraient exclues du processus de reconstruction étatique, lequel serait confié aux acteurs qui ont contribué à leur souffrance.

Dès lors, une question demeure : à qui profite réellement cette ingénierie institutionnelle ? À défaut de justice, de consultation populaire authentique et de réparation effective, ce sont les structures de pouvoir les plus opaques — gangs, élites économiques complices, diplomatie de compromis — qui en sortent renforcées. Le peuple haïtien, pourtant au cœur du discours officiel, est une fois de plus relégué au statut de spectateur d’un théâtre politique écrit en dehors de ses réalités.

L’histoire jugera cette période non pas à l’aune de la stabilité proclamée, mais à la lumière des principes bafoués. En Haïti, l’oubli organisé des morts et l’absence de justice ouvrent un précédent alarmant pour la région : celui d’une normalisation de la gouvernance par la peur et du silence comme mode de résilience institutionnelle.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.