2 octobre 2025
Du simulacre sécuritaire à l’aveu d’impuissance : Martissant 2021-2025, le ‘territoire perdu’ où l’État ne passe plus
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Du simulacre sécuritaire à l’aveu d’impuissance : Martissant 2021-2025, le ‘territoire perdu’ où l’État ne passe plus

Haïti : Quand l’État abdique face aux gangs, Martissant devient un territoire perdu

Le 6 juin 2021, Claude Joseph, alors Premier ministre de facto d’Haïti, déclarait fièrement que les forces de police avaient « rétabli la circulation » sur l’axe Martissant-Fontamara, dans la capitale Port-au-Prince, sans avoir « tiré un seul peta », c’est-à-dire sans la moindre confrontation armée. Cette mise en scène s’est accompagnée d’une visite dans la zone, en compagnie du chef de la Police nationale (PNH), Léon Charles. Le discours officiel évoquait une restauration pacifique de l’ordre, grâce à une autorité « en mode wireless » — expression aussi technologique qu’absurde dans un contexte d’occupation armée.

Pourtant, derrière cette rhétorique aussi volontariste qu’irréaliste, aucun fait ne venait étayer l’existence d’une opération réelle de sécurisation. À cette date, les gangs avaient déjà commencé à imposer leur contrôle militaire sur Martissant, stratégique corridor sud de la capitale. Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) rapportait alors des dizaines de morts, des centaines de déplacés et un climat d’impunité absolue.

Comme le soulignait l’expert des Nations unies Michel Forst en 2021, « les autorités haïtiennes ont développé une stratégie de substitution de l’action par le verbe, notamment en matière de sécurité publique ». L’épisode Martissant illustre à la perfection ce déplacement du réel : l’illusion de l’ordre a remplacé l’action, et la parole politique a tenté d’effacer la violence subie.

Mais cette stratégie de l’écran de fumée a depuis laissé place à une forme plus grave encore : l’aveu explicite d’impuissance.

En mars 2023, la ministre haïtienne de la Justice et de la Sécurité publique, Emmelie Prophète Milcé, interrogée par une radio locale sur ses déplacements, répondait : « Je ne prendrai pas la route de Martissant pour me rendre dans le Sud. » Cette déclaration, d’une rare franchise, a provoqué un tollé national. Elle venait rompre le silence complice habituel et actait, pour la première fois, la perte assumée d’un axe routier vital sous domination des gangs.

Si la ministre est ensuite revenue sur ses propos en évoquant une sortie de leur contexte, le mal était fait. Son aveu traduisait ce que tous les Haïtiens savent : l’État ne contrôle plus Martissant. Et, plus largement, l’État ne contrôle plus rien qui ne lui soit volontairement concédé par les groupes armés.

Car depuis 2021, les gouvernements se succèdent, mais le scénario reste identique. Le ministre de l’Éducation Nesmy Manigat s’est rendu dans le quartier sous haute protection, prétendant relancer quelques écoles. D’autres, comme l’ancien ministre de la Justice Bertho Dorcé, natif de la zone, n’ont même pas tenté de masquer leur retrait. Aucun n’a présenté de plan sérieux de reconquête du territoire. Les visites sont sporadiques, la communication est creuse, et les gangs dictent la réalité.

Cette abdication politique a une portée plus large. Elle signifie l’effondrement du contrat républicain. Loin de la simple faillite sécuritaire, Haïti vit une délégitimation accélérée de l’État. En renonçant à exercer son autorité, le pouvoir central accepte implicitement que des territoires entiers soient régis par la loi des armes, en dehors de tout cadre légal. L’autorité publique se voit ainsi transférée, sans débat ni transition, à des groupes armés liés pour certains à des élites politiques ou économiques.

Aujourd’hui, Martissant n’est pas un cas isolé. C’est le symbole de ce que devient Haïti : un pays où l’État se retire en silence, où la parole remplace l’action, où les victimes sont sommées de se taire, et où l’impunité est la norme.

Tant que les élites politiques continueront d’instrumentaliser la violence pour préserver leurs intérêts à court terme, toute tentative de « stabilisation » — y compris internationale — ne pourra qu’échouer. Le véritable défi est celui de la reconquête politique du territoire. Et cela exige bien plus que des mots.

cba

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